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Mme de Soucy à son passage à Inspruck et, quoiqu’on l’eût tenue presque prisonnière dans l’appartement de Madame Royale, s’acquitter du message dont il était chargé. Il rapportait même un billet de la princesse. Mais, outre que ce billet tracé en hâte se taisait sur l’objet essentiel, les propos de Mme de Soucy ne pouvaient qu’accroître les craintes du Roi et de son ami.

A en croire cette précieuse informatrice, Madame Royale, bien que disposée à suivre les indications que son oncle voudrait lui donner, ne protestait pas contre le projet certain et devenu public de lui faire épouser l’archiduc Charles. Dès sa sortie de France, on lui avait parlé de cette union ; on la lui présentait comme devant lui assurer une couronne. « La princesse, avait dit encore Mme de Soucy, a beaucoup de courage et de vertu ; elle y joint une tête vive et un cœur sensible. Mais, on est parvenu en France à lui donner de mauvaises impressions contre ses oncles. On lui a laissé lire des romans. A côté de beaucoup d’espérances de lui voir soutenir le rôle qui lui est tracé, il y a bien des écueils à éviter. » Ces propos, s’ils n’apprenaient rien au Roi ni à d’Avaray, en ce qui concernait « la vile intrigue de Vienne, » confirmaient du moins tous leurs soupçons, lesquels n’étaient que trop justifiés par les procédés antérieurs de la cour d’Autriche.

Depuis les débuts de l’émigration, elle témoignait avec persistance aux frères de Louis XVI antipathie et mauvais vouloir. Lors de la campagne de 1792, c’est elle qui s’était opposée à ce qu’ils prissent la tête des armées alliées. Ils demandaient alors une déclaration portant que ces armées opéreraient au nom du roi de France ; les diplomates autrichiens avaient fait écarter leur demande. Lorsque, après le supplice de Louis XVI, le Comte de Provence s’était proclamé régent, l’Autriche avait décidé l’Europe à ne pas le reconnaître en cette qualité. Depuis la mort de Louis XVII, elle manœuvrait de manière à empêcher les puissances de donner à son successeur le titre royal qui lui était légitimement dû. Enfin, toutes les fois que Louis XVIII avait manifesté le dessein d’entrer en action, elle était intervenue pour paralyser ses mouvemens. Encore à cette heure, elle lui fermait la route du Rhin où se trouvait l’armée de Condé et le tenait enchaîné à Vérone dans une oisiveté humiliante et douloureuse Que conclure de cette longue malveillance, sinon qu’elle cachait des calculs, des arrière-pensées et, pour tout dire, le dessein