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pas les plus méritans, les mieux doués, mais ceux qui afficheraient les idées du moment.

Ne voit-on pas les conséquences immédiates de cet abominable système ? l’influence des sénateurs, des députés, des préfets, des loges maçonniques, substituée à l’autorité légitime, régulatrice, des chefs de l’armée ; les officiers poussés à faire du zèle politique, les uns par conviction, les autres par ambition ; les caractères s’abaissant, la méfiance, la délation peut-être[1], remplaçant la solidarité, la saine et franche camaraderie des corps d’officiers !

Et la France ! Et notre malheureux pays, qui a déjà eu tant à souffrir de l’infériorité du haut commandement en 1870, où trouvera-t-il, avec un pareil régime, les garanties qu’il est en droit de réclamer pour assurer l’utilisation de ses forces, pour la défense de son territoire et de son honneur ?

Tandis que les souverains étrangers renoncent à tout droit d’accorder des faveurs pour l’avancement de leurs officiers, et qu’ils veillent à ne faire arriver aux grades de l’armée que des hommes au mérite reconnu à la suite de longues et nombreuses épreuves, il est profondément attristant de constater que dans nos discussions, dans nos décrets sur l’avancement on aperçoit surtout une conception étroite, mesquine, des prérogatives du gouvernement, le désir de lui garantir, avant tout, le droit d’accorder des faveurs ; que, chez nous, l’intérêt général est sacrifié à l’intérêt des partis, des sociétés secrètes ; qu’on laisse des considérations politiques s’infiltrer dans des questions de commandement, qui pèseront tôt ou tard sur les destinées de la patrie.


VI

Il est temps, grandement temps, que la loi vienne se substituer au régime troublant, déconcertant, des décrets, des tergiversations ministérielles, et qu’elle intervienne pour le haut commandement, pour les états-majors, comme pour l’avancement des officiers ; car ces questions se tiennent et se commandent les unes les autres.

Pour l’avancement, faut-il simplement perfectionner notre

  1. Ces lignes ont été écrites bien avant les révélations écrasantes de M. Guyot de Villeneuve à la Chambre des députés. Hélas ! ce n’est plus « peut-être » qu’il faut dire.