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Le 3 octobre de la même année, un autre ministre aggravait cette mesure en faisant prescrire d’étendre beaucoup, pour augmenter son droit de choisir, les listes de présentation ; puis, le 27 février 1901, il supprimait les inspections générales ; et, le 15 mars suivant, il fixait les règles, encore actuellement en vigueur, pour l’établissement des tableaux d’avancement :

Les chefs de corps dressent, chaque année, par ordre d’ancienneté, — et en leur donnant un numéro de préférence, — la liste de tous les officiers qui remplissent les conditions d’ancienneté, très larges, fixées par la loi pour pouvoir passer aux grades suivans. Ces énormes listes fusionnées, annotées par les généraux sont transmises au ministre qui y prend, à son gré, les officiers qu’il veut porter au tableau d’avancement ; qui y exerce son choix, sans limites, sans contrôle. Les influences étrangères à l’armée, parlementaires, électorales, franc-maçonnes, ont toute prise sur le ministre. Il n’a plus rien pour se défendre.

La raison de ce bouleversement de nos traditions a été donnée presque officiellement. Au lieu de l’armée, respectueuse de la légalité mais soustraite à nos discussions politiques, au lieu de « la grande muette » planant au-dessus de nos dissentimens intérieurs, et travaillant, se préparant à la guerre, sous l’égide de cet admirable, salutaire principe de la neutralité politique de l’armée, inauguré devant l’ennemi en 1870, on veut un corps d’officiers, affirmant nettement ses préférences pour les hommes au pouvoir, capables au besoin de prendre parti pour eux. Qu’on prenne garde de ne pas introduire dans l’armée le virus le plus dangereux pour une nation, l’esprit prétorien !

La toute-puissance que le ministre s’est donnée, en fait d’avancement, lui permettra de réserver exclusivement les grades à une catégorie d’officiers, en décourageant impitoyablement ceux qui lui sont signalés — et par qui ? — comme ayant des opinions ou des attaches de famille, politiques ou religieuses, suspectes.

Mais alors, quand la situation politique changera, quand, lassé du régime actuel, le pays appellera au pouvoir des hommes plus modérés, plus libéraux, il faudrait, d’après ce système, traiter à leur tour de suspects les officiers entachés d’opinions politiques trop avancées, compromis par leurs relations avec le parti tombé ; et pousser vers la tête de l’armée uniquement, non