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le croyait Napoléon, — d’échapper à Grouchy, et d’intervenir à Waterloo.

Quant aux généraux et aux officiers de son armée, ils étaient souvent peu instruits, sans doute ; mais l’expérience de la guerre suppléait chez eux aux lacunes de l’instruction. Les campagnes, les combats incessans avaient introduit dans l’armée, à défaut d’unité de doctrine, — ce qui valait mieux, — l’unité de vues.


III

Après 1815, les maréchaux de l’Empire auraient pu intervenir pour montrer que, pendant les longues périodes de paix, il est indispensable de suppléer par l’étude au manque d’expérience de la guerre, et, par l’unité de doctrines, à l’unité de vues. Ils auraient pu réussir, peut-être, à faire adopter une doctrine militaire fondée sur les procédés de guerre de leur glorieux chef. Mais ils n’avaient été, ni les uns, ni les autres, les confidens, ou même les élèves de Napoléon pour la direction d’ensemble des opérations. Ils avaient agi en chefs d’une vaillance incomparable, connaissant admirablement la troupe, sachant tirer d’elle des efforts surhumains, utilisant avec intelligence le terrain et les circonstances pour exécuter les ordres de l’Empereur ; mais agissant en sous-ordre, ne connaissant pas les intentions de leur chef, pas plus que le plan général de l’opération et les raisons multiples qui l’avaient inspiré.

L’ancien chef d’état-major du maréchal Ney, le général Jomini, avait essayé de donner les principes de la grande guerre. Il avait étudié consciencieusement les campagnes de la Révolution et de l’Empire ; et son Précis de l’art de la guerre était la condensation des observations qu’il avait tirées de cette étude. Mais ce « précis » était présenté sous une forme dogmatique étroite ; il s’attachait à des classifications rigides, faites pour fausser les idées.

Jomini avait eu quelques disciples en France comme ailleurs ; mais le gros de l’armée ne s’en occupait pas ; elle ne croyait pas aux savans. Elle s’occupa encore moins de l’œuvre bien plus grave de Clausewitz qui parut en Prusse vers cette époque. La première traduction de cette œuvre, qui devait nous être si funeste en 1870, n’a été publiée en France qu’en 1886 : Théorie