Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce jour paraît être venu. Après avoir attaqué, les Japonais vont avoir à se défendre. Mais les deux volontés sont encore intactes ; et la guerre va continuer acharnée, tant que l’une d’elles ne sera pas définitivement brisée.

Il y aura mille enseignemens, des plus importans, à tirer de cette grande lutte, quand elle sera connue, étudiée dans tous ses détails. Dès à présent, et pendant que les événemens se déroulent sous nos yeux, il ne paraît pas hors de propos de faire certaines constatations utiles à l’achèvement de notre grande œuvre de réorganisation militaire.

La fermeté et la persévérance avec lesquelles le général en chef russe a su maintenir son plan, malgré l’impatience de l’opinion publique, et peut-être de ses troupes, le talent avec lequel il a su faire exécuter sa volonté, dans des circonstances pleines de difficultés et de périls, montrent une fois de plus quel rôle capital joue, dans les destinées d’un pays, le choix et la préparation des hommes appelés à commander en chef les armées. En soutenant le général Kouropatkine, après l’avoir désigné pour défendre les intérêts de la Russie dans l’Extrême-Orient ; en lui maintenant sa confiance, lorsque les événemens ont pris mauvaise tournure ; en veillant, malgré les découragemens de l’opinion publique, à ce que rien ne vienne entraver son initiative pour l’exécution des opérations, dont il lui a indiqué le but, le Tsar rend non seulement un service éminent à la Russie : il donne aux gouvernemens[1] un grand exemple, que nous ne saurions trop méditer.

D’un autre côté, par deux fois, dans cette guerre, sur le Yalou, puis autour de Liao-Yang, nous avons vu que des ordres donnés par Kouropatkine avaient été transgressés, mal exécutés ; et que ces fautes avaient entraîné des pertes inutiles, et risqué même de compromettre l’action de l’armée. Quoique nous n’ayons que des renseignemens incomplets sur ces erreurs, — purement accidentelles, sans aucun doute, — elles n’en font pas moins ressortir qu’à la guerre les qualités du chef, la sûreté, la rapidité de la transmission de ses ordres par les états-majors, ne suffisent pas. Il faut en outre que ses intentions soient bien comprises par les commandans de troupes chargés

  1. La question du « haut commandement » et du rôle du gouvernement pendant la guerre a déjà été traitée dans le numéro de la Revue des Deux Mondes du 15 juin 1903.