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avec moi quelques fleurs. Son culte est vraiment touchant pour la mémoire de cet époux débonnaire, qui ne suffisait peut-être pas à la fougue de sa nature, mais que paraient tant de qualités discrètes, et qui possédait comme pas un le tact de s’éclipser à propos.

C’étaient de tardifs chrysanthèmes, couleur de rouille, gracieusement entremêlés à des branchettes de cryptomeria, que Mme Prune avait choisis pour sa fidèle offrande.

Il m’a paru un peu à l’abandon, le coin de cimetière où M. Sucre repose, mais situé fort aimablement sur la montagne, avec une vue attrayante. Aux quatre coins de la tombe, des tubes de bambou fichés en terre forment de naïfs porte-bouquets où nous avons disposé nos fleurs, non sans quelque recherche d’arrangement. Une courte invocation aux Esprits des ancêtres ; quelques baguettes d’encens allumées dans le petit brûle-parfum funéraire, et la veuve, avec un soupir, s’est arrachée à ce lieu mélancolique ; il fallait se hâter, car la pluie menaçait de nous surprendre au milieu de nos pieux devoirs.

Cette averse a d’ailleurs rendu plus intime notre retour, car, dans les chemins de descente, tout de suite glissans et dangereux, Mme Prune, chaussée de socques en bois, a dû chercher le secours de mon bras, et nous sommes revenus ensemble sous son large parapluie.

Il était très vaste, ce parapluie de Mme Prune, à mille nervures et garni de papier gommé ; tout autour, peintes en transparent, folâtraient des cigognes, — interprétées un peu à la manière du cher défunt, qui restera toutefois le peintre incomparable de ce genre d’oiseau.


PIERRE LOTI.