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Mais quand enfin j’ouvre ma fenêtre, le Japon qui m’apparaît alors, indécis et comme chimérique, moitié gris perle et moitié rose, est plus étrange, plus lointain, plus japonais que les peintures des éventails ou des porcelaines ; un Japon d’avant le soleil levé, un Japon syndiquant à peine, sous le voile des buées, dans le mystère des nuages. Tout auprès de moi, des eaux luisent, semblent des miroirs reflétant de la lumière rose, et puis, en s’éloignant, cette surface de la mer tranquille devient de la nacre sans contours, se perd dans l’imprécision et la pâleur. Des flocons de brume, des ouates colorées comme des touffes d’hortensias, enveloppent et dissimulent tout ce qui est rivage ; plus haut seulement, et toujours en rose, en rose très atténué de grisailles, s’esquissent des bouquets d’arbres suspendus, des rochers à peine possibles tant ils ont de hardiesse ou de fantaisie, et enfin des montagnes, plutôt des reflets de montagnes, n’ayant pas de base, rien que des cimes, des dentelures, des pointes érigées dans le ciel vague. Ces choses transparentes, on n’est pas sûr qu’elles existent ; en soufflant dessus, on risquerait sans doute de changer tout ce décor imaginaire. Il fait idéalement doux ; dans l’air presque tiède on sent l’odeur de la mer et un peu le parfum de ces baguettes que les gens brûlent ici perpétuellement sur les tombes, ou sur les autels des morts. Voici maintenant une grande jonque, une d’autrefois, qui passe avec sa voilure archaïque et sa poupe de trirème ; dans le site irréel, devant cette sorte de trompe-l’œil qui a des nuances de nacre et de fleur, elle glisse sans que l’on entende l’eau remuer, et la brume enveloppante l’agrandit ; on croirait un navire fantôme, si elle n’était toute rose elle-même, sur ces fonds roses.

Dix heures : toutes les buées du matin ont fondu au soleil, qui est chaud aujourd’hui comme un soleil de mai.

L’amiral me délègue pour aller, en épaulettes et en armes, présenter au gouverneur japonais ses vœux de bonne année, et une baleinière du Redoutable m’emmène, à l’aviron, sur l’eau devenue très bleue.

La foule nipponne dans les rues est déjà en habits de fête.

Il me faudra deux coureurs à ma « djinricha, pour la vitesse, et surtout pour le décorum, en tant qu’officier français ; — or, c’est difficile, à recruter un jour de premier de Fan, car messieurs les coureurs font leurs visites et déposent leurs cartes. Quand j’ai