Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

centenaires, n’ont ni changé, ni grandi d’une ligne. Tel bouquet de petits cèdres avortons, que je me rappelle si bien, de petits cèdres qui n’ont pas deux pieds de haut, se mire toujours dans le lac en miniature, dont la surface est ternie de poussière. La même teinte, verdâtre et comme moisie, est restée aux rocailles nostalgiques, dans les recoins sans soleil…

Il y a toujours un étonnement à retrouver, dans des pays très éloignés, et après de longues années qui ont été remplies pour vous d’agitations et de courses par le monde, à retrouver de pauvres petites choses demeurées immuables, d’infimes petites plantes qui continuent à végéter aux mêmes places.


20 décembre. — A mon précédent séjour, il y a quinze ans, on ne voyait d’ivrognes au Japon que les matelots d’Europe. Maintenant les matelots japonais s’y sont mis, à l’alcool ; à peu près semblables à ceux de chez nous, sauf leur figure plate et jaune, portant le même col bleu et le même bonnet, ils vont bras dessus bras dessous, chantant et titubant par les rues. Quantité d’autres personnages, en robe nipponne, se grisent aussi le dimanche et se battent dans les cabarets.

En fait de maisons de thé, celles-là seules qui sont très élégantes et très fermées, qui n’admettent que de purs Japonais et quelques étrangers de marque, celles-là seules ont gardé la tradition : minutieuse propreté blanche, grandes salles où il n’y a rien, raffinement extrême dans l’absolue simplicité.

Mais toutes les autres, ouvertes à qui veut entrer, sont devenues sales et empestent l’absinthe. On y est admis sans se déchausser, en gros souliers boueux ; plus de nattes immaculées par terre, plus de coussins pour s’asseoir ; des chaises et des tables de cabaret ; sur les étagères, au lieu des gentilles porcelaines pour dînettes de poupées, aujourd’hui des alignemens de bouteilles, du wisky, du brandy, du pale-ale ; tous les poisons d’Angleterre et d’Amérique, déversés chaque jour à pleins paquebots, sur le vieil empire du Soleil Levant.

Et pourtant le Japon existe encore. A certaines heures, dans certains lieux, on le retrouve si intact et si japonais, qu’il semblé n’avoir subi qu’une atteinte superficielle. Cette grande baie singulière où nous sommes, entre ses hautes montagnes aux dentelures excessives, ne cesse point d’être un réceptacle d’inépuisables étrangetés. Nagasaki, malgré ses lampes