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« incidens parlementaires récens, » qui, comme il le dit, « lui ont fait un devoir » d’adresser aux préfets des instructions nouvelles.

On s’attendait à autre chose, même de sa part : sa circulaire a été une déception. Pour être complète, elle aurait dû porter sur deux points. Il ne suffisait pas de dire aux préfets à qui ils devaient demander des renseignemens ; il fallait leur dire encore quels devaient être les renseignemens à demander, car la nature de ceux que les journaux publient tous les jours n’est pas moins scandaleuse que leur origine. Nous le répétons, la vie privée des fonctionnaires, ou de ceux qui aspirent à le devenir, ne regarde personne, et, pourvu qu’elle soit décente, on n’a rien à demander de plus. Par-dessus tout, c’est chose odieuse, si un homme a des convictions religieuses et s’il y conforme sa conduite, d’en conclure qu’il n’est pas, qu’il ne saurait être républicain : il n’est pourtant pas une seule des fiches individuelles aujourd’hui connues qui ne donne la première place aux renseignemens et aux conclusions de ce genre. Le gouvernement actuel, et M. le président du Conseil en particulier, répètent souvent, et avec affectation, qu’ils respectent sincèrement, profondément, toutes les croyances, et sans doute aussi dès lors toutes les pratiques religieuses. Simple hypocrisie ! Certaines croyances et pratiques religieuses sont un motif d’exclusion des fonctions publiques, si on cherche à y entrer, et de disgrâce, si on y a réussi. C’est pourquoi nous faisons un double reproche à la circulaire de M. Combes : le premier est d’avoir été beaucoup trop large dans l’énumération des personnes auxquelles les préfets auront à demander des renseignemens, et d’avoir donné l’estampille officielle à ces délégués administratifs, qu’il fallait laisser au rang de policiers subalternes et secrets ; le second, de n’avoir pas, pour employer sa propre langue, limité le champ des informations par l’affirmation très nette que tout ce qui tient à la liberté de conscience doit rester en dehors des investigations préfectorales, et qu’on peut être indifféremment catholique, protestant, israélite ou libre penseur sans que le gouvernement s’en préoccupe et vous en demande jamais compte. Si M. Combes avait invité ses préfets à ne prendre leurs renseignemens qu’auprès des fonctionnaires de l’ordre politique auquel ils appartiennent eux-mêmes, et à borner ces renseignemens à ceux qui ont un intérêt professionnel ou un caractère politique, il aurait mérité et obtenu l’approbation universelle. Il a préféré une approbation plus restreinte, mais plus précieuse pour lui. Il n’a pas dit un mot pour condamner la délation : il s’est contenté de dire par quel canal elle devrait désormais passer. Cela réduit singulièrement la portée morale