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ces maires lui déplaisent ou lui résistent, lorsqu’ils ne sont pas suffisamment complaisans ou dociles, il en nomme d’autres subrepticement, — de sorte qu’on a, dans la même commune, le maire élu qui accomplit certains actes, ou, si l’on veut, qui fait certains gestes administratifs, et le maire nommé in petto, qui n’a pas à s’occuper de ces misères, mais qui a la véritable autorité puisqu’il distribue les faveurs gouvernementales. Si on lui donne cette situation à laquelle il n’a aucun droit, et qu’on peut lui enlever du jour au lendemain pour l’attribuer à un autre, ce n’est pas gratuitement. Le délégué, créature artificielle et toujours dépendante de la préfecture, est son informateur. C’est à lui qu’on s’adresse pour avoir des renseignemens sur les personnes, et c’est lui qui les fournit. Il peut se faire que certains d’entre eux y mettent quelque scrupule, mais ils sont l’exception. Le plus grand nombre, placés dans cette situation équivoque et louche, en prennent rapidement les mœurs s’ils ne les ont par avance, et deviennent de simples mouchards : il faut appeler les choses par leur nom. Nous connaissons d’ailleurs quelques-uns de ces délégués, car, si l’institution n’avait pas encore été avouée par le gouvernement, il a toujours été difficile d’empêcher ses représentans de trahir leur incognito. L’usage qu’ils font de leur influence est généralement indiscrète. Ils sont fiers d’être ce qu’ils sont : il y a tant de fiertés différentes, et on aime tant chez nous les fonctions publiques, que ceux mêmes qui en ont seulement le simulacre, s’en croient encore honorés ! Ils en font parade lorsqu’ils auraient de si bonnes raisons de s’en cacher. M. Combes assure que ces délégués ont été choisis « en raison de leur autorité morale. » On aurait de la peine à les reconnaître à ce signalement ! La vérité est qu’ils sont le plus souvent de médiocre moralité, qu’on les tient en petite estime dans les communes bien qu’on les y craigne, et que les solliciteurs, et encore ceux qui se respectent le moins, sont les seules personnes qui les fréquentent. En face du maire véritable qu’ils tiennent en échec, les « délégués » groupent tous les mécontens, tous les ambitieux, tous les envieux, tous les quémandeurs, c’est-à-dire une armée singulièrement mélangée. Tels sont les agens de renseignemens auxquels M. Combes donne droit de cité dans sa république : nous laissons à penser la confiance qu’ils méritent ! Ils étaient déjà une des excroissances les plus malsaines du régime actuel : les voilà consacrés. Ces simili-fonctionnaires seront les entremetteurs de la délation. On saura désormais à qui s’adresser pour dénoncer quelqu’un, et chaque commune de France aura son Vadécart au petit pied. M. Combes n’a pas imaginé autre chose après les