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renseignemens sur les personnes. On n’a d’ailleurs pas besoin de les y inciter. Les ministres et les préfets avaient plutôt, jusqu’ici, songé à se défendre contre leur intrusion abusive, dans le domaine administratif : il n’était encore venu à l’esprit d’aucun d’eux de l’encourager. C’est ce qu’a fait M. Combes. En invitant les préfets à se renseigner auprès des députés, il a donné aux députés le droit d’apporter spontanément leurs renseignemens aux préfets, et ces renseignemens sont des ordres. Comme il ne gouverne pas lui-même et qu’il subit docilement toutes les impulsions, soit de la Chambre, soit du Grand-Orient, soit peut-être de quelque association plus obscure encore, il lui en coûte peu de conseiller aux préfets l’abdication qu’il pratique : mais ses successeurs pourront en pâtir.

Tout cela n’est rien encore, et ne mérite que des critiques ou des réserves, mais non pas des protestations. Il n’en est pas de même des « délégués ou des correspondans administratifs » que nous voyons apparaître pour la première fois dans un document officiel. M. Combes en avait déjà dit un mot à la Chambre ; il les avait nommés à la tribune ; mais on avait pu croire de sa part à une imprudence de langage. Cette illusion n’est plus permise. Dans la circulaire, où tout a été pesé et médité à loisir, nous retrouvons ces délégués administratifs mis en troisième rang dans la hiérarchie des informateurs préfectoraux. En fait, ils occuperont bientôt le premier, s’ils ne le font déjà. Que sont-ils donc ? M. le président du Conseil l’a dit à la Chambre sans ambages : ce sont des maires déguisés que les préfets nomment dans les communes où le maire avoué et officiel n’inspire pas confiance. M. Combes avait revendiqué pour les préfets le droit d’interroger les maires ; mais il avait été obligé de reconnaître qu’il n’y avait aucun moyen de contraindre les maires à répondre, s’ils ne le voulaient pas. C’est sans doute une lacune. La faute en revient à la loi de 1884, qui a enlevé au gouvernement la nomination des maires pour en attribuer l’élection aux conseils municipaux. On était alors dans une période généreuse et libérale ; on voulait donner plus d’autonomie aux communes ; on croyait à la décentralisation. Nous avons changé tout cela, et il est clair que, si la loi de 1884 n’existait pas, ce n’est pas aujourd’hui qu’on l’inventerait. Pourquoi ne pas en proposer le retrait ? Ce serait plus franc sans doute ; mais on n’ose pas. Un reste de pudeur empêche de revenir ouvertement aux institutions du passé, après les avoir si longtemps combattues et finalement détruites. Le gouvernement actuel laisse donc subsister les maires élus par les conseils municipaux ; mais, lorsque