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discorde. Puis, s’abstenant de rien suggérer, il termina en demandant simplement une pacification sérieuse et la constitution en ces contrées « d’un pouvoir fort et impartial. »

Ce prologue était évidemment un appel convenu à un partenaire chargé d’engager l’action. Conformément aux règles de l’art, il y fut répondu sur-le-champ, et, si étrange que fût l’empressement d’une Puissance qui professait le respect de l’intégrité de l’Empire ottoman, lord Salisbury, sans hésitation ni réticences, demanda nettement au Congrès, en homme qui paie sa dette, de statuer « que la Bosnie et l’Herzégovine seraient occupées et administrées par l’Autriche-Hongrie. » Ce discours, non pas seulement préparé, mais écrit, ce qui le rendait plus significatif encore, fut lu par le chef du Foreign-Office avec l’onction oratoire et l’accent pénétré qui caractérisaient son éloquence. Il déclarait la conscience et la responsabilité de l’Europe également intéressées à prévenir « le renouvellement des souffrances » dont elle s’était émue ; puis, repoussant tous les projets précédemment cités et en outre l’annexion éventuelle des deux provinces à l’une ou l’autre des Principautés voisines, il dénonçait avec complaisance les graves inconvéniens « d’une chaîne d’Etats slaves à travers la Péninsule des Balkans. » Son argumentation devint plus ingénieuse encore lorsqu’il parla de la Turquie. Il prétendit la persuader des excellentes intentions de l’Europe, développa sur le ton le plus amical les grands avantages que trouverait la Porte « à se dépouiller de territoires sans valeur stratégique, » dont la défense lui coûtait « des dépenses énormes » et l’exposait à des « dangers formidables. » Le sacrifice qui lui était imposé était donc pour elle un témoignage sensible de la sollicitude des Cours.

L’assemblée écouta en silence cette théorie audacieuse, sachant bien que la décision proposée était inéluctable. Néanmoins, comme les plénipotentiaires turcs ne manqueraient pas de réclamer, et comme on pouvait craindre aussi des objections russes, il fallait corroborer l’effet obtenu, et le prince de Bismarck entra en lice résolument. Il annonça d’abord la complète adhésion de l’Allemagne à la motion anglaise : puis, plaçant la question en dehors et au-dessus des intérêts austro-hongrois, et lui imprimant « un caractère européen, » il posa en principe que « seul, un État puissant » préviendrait en Bosnie-Herzégovine le retour des « secousses périodiques qui avaient ébranlé