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pourrez juger si le proverbe dit vrai : « Is fecit cui prodest. » — L’auteur de la guerre civile est celui qui en a profité[1]. »

Avouerai-je que MM. Paul et Victor Margueritte sont en cela, à mon goût, trop de l’avis de M. Camille Pelletan ; car ce jugement est de lui, dans les conclusions de sa Semaine de Mai. Que M. Thiers ait pu commettre des fautes, qui le nie ? Et qui, à sa place, n’en eût pas commis ? Que c’ait été une faute de quitter Paris le 18 mars, cela est douteux, mais cela est possible ; que c’en ait été une de ne pas faire occuper assez tôt, assez fortement, le Mont-Valérien, cela est certain ; que c’en ait été une de ne pas pousser plus activement le siège, et de ne pas avancer plus rapidement, une fois les troupes dans Paris, donnant ainsi aux passions qui s’entre-choquaient le temps et l’occasion de devenir enragées, cela est plus certain encore… Oui, « la revanche a été éclatante et la répression terrible, » mais comment soutenir que M. Thiers a « profité » de la guerre civile, et que, par conséquent, il en « a été l’auteur ? » Oui, il a exigé que Paris fût « soumis à la puissance de l’Etat comme un hameau de cent habitans ; » mais, chef de l’État, et responsable des destinées de la France, en un moment où la défaillance d’une minute pouvait être à tout jamais irréparable, comment ne l’eût-il pas exigé ? Oui, M. Thiers n’a « ouvert à Paris les bras de la France » qu’après que Paris a eu ouvert les siens ; et peut-être a-t-il beaucoup tardé ; et sans doute l’heure de la justice a été bien longue, l’heure de la clémence bien lente ; Poncet pense là-dessus en brave homme, mais penser en brave homme n’est pas tout dans les graves crises de conscience où l’on doit se décider à agir en homme d’Etat. Pour que la clémence ait son heure, il faut que la justice ait eu la sienne ; autrement, la clémence est interprétée à faiblesse, et tout est à recommencer, ce qui est le pire crime contre la patrie et le pire dommage à l’humanité…


La place va me manquer, et je m’aperçois que je n’ai encore ni discuté ni posé même les questions que soulève, historiquement et politiquement, le si intéressant, si documenté, si considérable ouvrage de MM. Paul et Victor Margueritte. Comment ne pas dire au moins un mot de leurs conclusions, qui tiennent d’ailleurs en ce seul paragraphe ? (C’est toujours Poncet qui les formule) :

  1. Camille Pelletan, la Semaine de Mai, deuxième édition, p. 405 et 407.