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qu’il est pourtant dans la Commune deux portraits, — un portrait de foule, si l’on peut qualifier ainsi l’Assemblée nationale, et toute assemblée est foule, mais celle-ci, à bien des égards, le fut moins qu’une autre ; — un portrait de chef, M. Thiers, — ce dernier surtout, — qui sont, à mon avis, injustes.

« L’Assemblée honteuse, » dit le raisonneur Poncet ; — car il y a des raisonneurs dans ces romans comme dans les pièces de Dumas fils, ce sont eux qui sont chargés d’expliquer les événemens, et il est à supposer qu’ils les expliquent suivant la pensée de l’auteur. — C’est bien vite dit ! Et c’est bien vite fait de nous montrer, « sortant de leurs châteaux comme d’une tombe, les conservateurs les plus tremblans, les cléricaux les plus frénétiques, tous les survivans du passé, tous ceux qui depuis 1848 et 1830 se morfondaient de monarchie rentrée ; » de nous les montrer, « aveuglés par le jour » et ne s’éveillant que pour faire chorus avec « les industriels égoïstes, » les « grands écumeurs d’affaires » pour crier : La paix, la paix à tout prix ! » s’empressant de voter cette paix, afin de ne penser plus qu’à leur idée fixe, « enfiellée d’ambitions et de rancunes… étouffer une fois pour toutes l’ennemi, cet exécrable esprit de la Révolution, leur terreur de 89, de 48, de 70,… en délivrer l’avenir pour y restaurer le passé, leur idéal vermoulu de monarchie et d’église… » Il faut que ç’aient été en effet d’abominables desseins, puisque ce sont de si gros mots. Mais, sans ignorer et sans oublier tout ce qu’on pourrait lui reprocher, il n’empêche que l’Assemblée nationale fut une Assemblée remarquable par la réunion des talens et la qualité du travail, au moins dans sa première période, comme si la commotion inouïe qui venait de fendre la terre française en avait fait jaillir les réserves accumulées, les économies de force d’une vie nationale quinze fois séculaire. Et certes, il est possible que cette Assemblée de « hobereaux fossiles » ait eu de Paris une trop mauvaise opinion, mais il est sûr que Paris, en revanche, a gardé une trop mauvaise opinion d’elle. L’espèce de colère sourde et de jalousie rancunière elles-mêmes, avec lesquelles on y parlait de Paris, prouvent à quel point la France, centralisée par tous les régimes qu’elle a traversés, n’a jamais cessé de vivre de Paris et à Paris, et combien, à l’idée de perdre sa capitale, elle avait eu le sentiment épouvanté de perdre littéralement la tête ! Opposer à Paris l’Assemblée nationale, qui légalement représentait la France, et même, selon les