Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confidences ou médisances, si l’élément féminin donnait aux échanges d’idées une forme délicate et légère, et si l’on semblait remettre au lendemain les affaires sérieuses, il était facile de reconnaître au fond les mêmes passions et les mêmes manèges. La petite pièce se combinait avec la grande. Il n’y avait aucun désaccord entre les discours de la journée et les commentaires du soir, quelle que fût la vivacité superficielle du dialogue, et personne ne disait que ce qu’il voulait dire.

Le prince de Bismarck, tout en demeurant éloigné de ces séances d’un autre genre, n’en ignorait aucun détail, grâce aux récits de son entourage dont il s’amusait fort : je l’entendais souvent y faire allusion, et y ajouter à propos quelque boutade sagace ou railleuse. Il savait n’avoir rien à craindre pour ses projets de ces dissertations indépendantes, rétrospectives ou subtiles, de cette escrime de gens d’esprit en récréation. Toutefois il jugeait nécessaire de ne point laisser le Congrès s’attarder dans les distractions ; il s’empressa, dès qu’on en eut fini avec les Bulgares, de mettre à l’ordre du jour la Bosnie et l’Herzégovine : il fallait en effet régler au plus tôt le sort de ces deux provinces que l’Autriche devait recevoir en échange du concours qu’elle prêtait à l’Angleterre. Cette acquisition se trouvant ainsi étroitement liée au succès de la combinaison bulgare et, de plus, étant la base des arrangemens ultérieurs du Cabinet de Vienne avec l’Allemagne, les trois Cours désiraient également la consacrer. Elles avaient, en conséquence, pris soin de disposer la discussion de telle sorte qu’elle fût prompte et décisive. Aussi avons-nous assisté là à un épisode ordonné comme un véritable scenario, non moins remarquable par la distribution des rôles que par l’enchaînement des idées, et qui a marché au dénouement avec une précision, une vigueur, une rapidité irrésistibles.

L’exposition était confiée au comte Andrassy. Il la présenta clairement, comme un « rapporteur » désintéressé, indiquant seulement le point de fait, l’état troublé du pays, « les dommages r » incalculables » que ces désordres causaient aux régions limitrophes, l’impuissance de la Porte à conjurer ces périls. Ces prémisses étant posées, il rappela les solutions auxquelles on avait songé jusqu’alors : à savoir, les réformes ottomanes, l’autonomie proposée, en 1877, par la Conférence de Constantinople, et, depuis, à San Stefano, et les écarta successivement comme incomplètes, impraticables ou même susceptibles de perpétuer la