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une évolution décisive, — l’euphémisme est joli ! — mais nette de sang versé » et qui « se réservent de retirer leur concours, attendant de juger à l’œuvre » — les malins ! — ils ajoutent :


Reste le gros, une soixantaine de personnalités disparates, pêle-mêle de tout acabit, des ignorés, des ignorans, des déjà célèbres et des depuis longtemps oubliés, orateurs de siège, vieilles barbes de 48, jacobins notoires, polémistes d’avant-garde, disciples de Blanqui, socialistes de l’Internationale ; les plus pures intentions et les pires instincts ; l’intelligence froide et lucide ; les cœurs ardens à côté de niais emphatiques et de butors stériles, l’esprit et le gâtisme aux mêmes bancs ; ceux qui volent au bruit comme des phalènes à la flamme, les impulsifs, les névropathes, les faibles qui veulent paraître redoutables, les cabotins du mal, et encore ceux qu’une difformité physique, la souffrance injuste, les lois mal faites dressaient irrités, pleins de rancœur.


Et ici s’ouvre une longue galerie de portraits : grotesques et tragiques, les deux masques ; et le troisième, la nullité plate ou la platitude nulle :


Une figure de nuit, Pourille dit Blanchet, paralytique et boiteux, énergumène qui, sous sa barbe de capucin défroqué, cache l’ancien secrétaire de commissariat de police et le banqueroutier. — Le général en chef Bergeret, ex-sergent de voltigeurs, ranci dans la peau de l’ouvrier typographe, petit, maigre et bilieux, à cheval sur sa suffisance et promenant en voiture son incapacité. — Babick, illuminé à longue barbe, fervent prophète d’un M. de Toureil qui avait créé le culte fusionnien, une salade mystique de toutes les religions ; excellent homme et habile vendeur d’onguens, sous l’étiquette dont il s’affublait : « enfant du règne de Dieu et parfumeur de la rue de Nemours. » — Billioray, peintre aigri, à qui ses couleurs pauvres avaient tourné dans le sang, raté qui voyait rouge. — Antoine Arnaud, employé de chemins de fer et magnétiseur de sombre mine, au regard voilé de lunettes, aux traits impassibles, cachant le fanatique.


Passons-en, et non des meilleurs. Voici ensuite :


Ranvier, cinquante-deux ans, le maire de Belleville et l’une des idoles de son quartier, grandi par ses condamnations, maladive figure blême, à l’ardeur de phtisique, enfiévré par ses succès de club, soldat sans pitié de la guerre sociale. — Brunel, quarante ans, proposé pour la croix après Buzenval, type militaire, ancien officier de cavalerie et actuel propriétaire, jeté à la tête de l’émeute du 22 janvier par indignation patriotique ; caractère entier, capable de pousser la bravoure jusqu’à l’exaltation, s’enfonçant en désespéré dans l’impasse, sans retourner la tête. — Enfin, Jourde, trente ans, grand, distingué, un intelligent visage encadré d’une longue barbe blonde, une parfaite honnêteté professionnelle et de grandes qualités de comptable, au service d’une âme modérée.