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que les autres, joyeuse comme une création, mais, plus que les autres peut-être, âpre comme une revanche. Railleuse et rieuse, douloureuse, crédule, injurieuse, criminelle, féroce, la foule de mars 1871 sera tout cela ; tour à tour, et plus ou moins, à l’aller des jours ; et tantôt l’un des caractères ressortira, prédominera, tantôt l’autre ; tour à tour, et plus ou moins, elle sera patriote, internationaliste, républicaine, communaliste, anti-provinciale, anti-sociale ; d’abord, surtout crédule, patriote et républicaine ; vers la fin, surtout internationaliste, communaliste, anti-sociale, et, par éclats, délibérément féroce. Chacun de ces caractères généraux de la foule se retrouvera comme frappé en types plus saillans dans les chefs ; ils lui ressembleront, et, pour ainsi dire, la reproduiront en la résumant, en la concentrant, ce qui est, d’ailleurs, tout naturel ; car rien ne ressemble ou du moins rien ne devrait ressembler autant à la foule qu’un gouvernement issu révolutionnairement de la foule. Ceux-là ressemblent à celle-ci. Il y a le songeur et le phraseur humanitaire, variété du « vieillard barbu » qu’on a surnommé la « vieille-barbe, » ou, en langage plus libre encore, le « quarante-huitard ; » généreux, désintéressé, utopiste, le meilleur des hommes, qui ne se résout ou ne se résigne à faire du mal aux hommes que pour le bien de l’humanité. Il y a l’arriviste à qui tout est sujet d’avancement, et le farceur à qui tout est sujet d’amusement. Il y a le « profiteur » qui veut faire du bénéfice, et le « poseur » qui veut faire de l’étalage. Il y a celui qui entend commander, et celui qui entend ne plus obéir. Il y a le bandit authentique et le fou authentique, le drôle parfait et le parfait idiot. Il y a beaucoup de médiocres, indifférens par impuissance, par impotence, et que la pression du doigt incline à gauche ou à droite, associés aux excès les plus scandaleux comme aux mesures les plus raisonnables ; il y a de braves gens, et même quelques très honnêtes gens, et qui sont non seulement très honnêtes, mais, de surcroît, très sincères et très intelligens. Et il y en a aussi d’intelligens qui ne sont pas sincères, de sincères qui ne sont pas intelligens, d’intelligens et de sincères qui ne sont pas honnêtes, d’honnêtes qui ne sont pas intelligens et sincères, ou sincères ou intelligens, ni intelligens, ni sincères. Ce petit monde est le monde ; mais il roule, désorbité, dans le chaos. MM. Paul et Victor Margueritte en parlent comme nous en parlons nous-mêmes. Quand ils ont mis à part « une demi-douzaine de radicaux, sympathiques à