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protestations, tant d’excitation et d’agitation, tant d’appels et de rappels ; cette espèce de concours entre avocats et généraux : le Verbe armé, — Gambetta, — l’Armée verbeuse, — Trochu ; — parmi tout cela, les manigances des partis, la manie des conspirateurs incorrigibles ; lorsque les portes de Paris sont ouvertes, le départ en masse des élémens d’ordre, l’arrivée en flot d’élémens de désordre, légion garibaldienne licenciée, troupes débandées, condamnés politiques, et autres peut-être, à tort, libérés ; tout travail, tout commerce, tout moyen de vivre réduit, restreint aux trente sous par jour que l’on touche à son bataillon, en jouant et pour jouer au soldat, et avec des galons par-dessus le marché ; tant de malheurs et tant de misères ; tant de folies éclatantes ou discrètes, tant de douleurs publiques et privées ; tant de rage, de honte et de gêne ; la Commune n’est pas là-dedans tout entière, mais elle est là-dedans.


III

C’est ce que MM. Paul et Victor Margueritte ont très bien vu. Ils ont bien vu que, dans une révolution, l’acteur principal est la foule ; qu’elle est toujours, au fond, la maîtresse de ses chefs (et l’on peut presque donner à ces mots tous leurs sens) ; qu’il faut donc la connaître pour la faire connaître ; et que, pour connaître la foule du 18 mars, il fallait la prendre avant le 18 mars. Ils l’ont prise au 26 février 1871, le jour du meurtre de l’agent Vicenzini, en plein cœur du Paris révolutionnaire, « sur la place de la Bastille, où les boulevards Beaumarchais et Richard-Lenoir, la rue et le faubourg Saint-Antoine, les quais du canal Saint-Martin dégorgent leurs flots compacts. » D’heure en heure, elle grossit, elle bourdonne, elle s’exalte autour de la colonne de Juillet. Dans cette foule, il y a de tout : ouvriers des faubourgs, petits bourgeois des quatre-vingts quartiers, soldats désarmés, bayant aux cabarets, badauds patriotes et républicains, — les « vieillards barbus » et les « adolescens livides » qui jadis criaient : A Berlin ! et les « voyous » aux balais promenés comme des torches, et les « titis » « aux cabrioles de singes. » Depuis le matin, spectacle militaire : défilé de gardes nationaux avec musique et bouquets d’immortelles, en cet anniversaire de 1848. Tout là-haut, lié au flambeau que secoue le génie de la Liberté, un drapeau rouge claque au vent :