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bulgare ne fût plus douteuse, lord Salisbury et le comte Schouvalof n’avaient pas encore déposé les armes et se livrèrent deux batailles d’arrière-garde : l’une, presque inévitable, à propos de l’occupation russe et de sa durée ; l’autre, provoquée par le ministre anglais, à vrai dire assez inutilement, au sujet de l’élection du prince. Une transaction, suggérée par M. de Saint-Vallier, mit fin à la première : la Russie réclamait un délai de deux ans pour retirer ses troupes, et ne consentit qu’avec peine à réduire son séjour dans la Principauté à neuf mois, et à six mois en Roumélie. Le comte Schouvalof soutint la lutte avec persistance et ne céda qu’à la dernière extrémité, en l’absence du prince Gortchakof que cette exigence anglaise eût certainement exaspéré. Quant à l’élection du prince de Bulgarie, qui devait être, de l’avis de tout le monde, faite par les populations, puis confirmée par la Porte « avec l’assentiment des Puissances, » il fallait être aussi ombrageux que lord Salisbury pour élever là-dessus une objection subtile. Le Congrès ne s’y attendait pas, et il y eut autour de la table un mouvement de lassitude lorsque le chef du Foreign-Office, s’espaçant en précautions oratoires et en phrases onctueuses, épilogua sur l’adhésion réservée aux Puissances, sur leurs divergences éventuelles, et demanda, — visant évidemment une obstruction russe, — que la simple majorité emportât cet assentiment. On vit alors combien il est facile d’éveiller les soupçons d’une assemblée : ces mêmes plénipotentiaires qui n’avaient écouté d’abord qu’avec ennui les insinuations anglaises furent amenés, peu à peu, à s’en préoccuper au cours d’un débat prolongé. Vainement le Président affectait-il de regarder cette discussion comme purement « académique, » l’incident ne prit fin qu’à la suite d’un discours du comte Schouvalof qui dut protester solennellement « que la Bulgarie ne deviendrait jamais une annexe russe. » Personne alors n’insista plus, mais lord Salisbury, en définitive, n’avait pas perdu son temps.

Ici se place un intéressant épisode. J’ai dit que le prince Gortchakof n’assistait point aux dernières séances consacrées à la Bulgarie : peut-être sa santé exigeait-elle quelques jours de repos, peut-être prévoyant les complaisances finales de son collègue, n’avait-il point voulu s’associer à des résolutions qui détruisaient en partie l’œuvre de sa politique. Mais enfin, et quel que fût son dépit, il ne pouvait plus longtemps rester dans