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indifférence, et il faut avouer qu’en invoquant, comme il le devait d’ailleurs pour justifier son argumentation, la prospérité des pays bulgares et la fidélité des populations égarées par les excitations étrangères, il avait peu de chances de persuader ses auditeurs. J’observais le sourire des uns et l’impatience des autres, surtout l’irritation du Président qui considérait tout ce plaidoyer comme un hors-d’œuvre fatigant. Il ne pouvait décemment l’interrompre, mais, dès que Carathéodory eut achevé, il ne put se contenir, et riposta rudement comme si celui-ci eût excédé la mesure : il lui déclara qu’il n’était point de son intérêt « de ralentir les travaux du Congrès et de créer des difficultés, » et cette semonce, assez étrangement adressée à un collègue qui faisait son devoir, fut la conclusion du débat bulgare.

En présence de cette attitude intolérante, les plénipotentiaires ottomans ne pouvaient insister davantage, car l’assemblée, elle aussi, jugeait inutile de les entendre. Elle prétendait en toute circonstance décider souverainement les affaires ottomanes sans examiner attentivement les réclamations de la Porte. Une procédure plus développée n’eût pas sans doute modifié ses résolutions, mais il est permis de penser qu’en allant un peu moins vite, en ménageant mieux l’amour-propre de la Turquie, en lui montrant une bienveillance sincère ou feinte, et quelque égard pour ses résistances et ses réserves, on n’eût pas compromis le résultat final. En faisant mieux valoir auprès d’elle les compensations qui lui étaient données, on eût adouci tout au moins les âpres ressentimens et les défiances qu’il n’était pas bien prudent, on l’a vu depuis, d’accroître et d’aigrir encore. On pouvait prévoir en effet qu’elle serait d’autant plus disposée à éluder les clauses du traité qu’elle aurait été plutôt admise à les subir qu’à les discuter.

Quoi qu’il en soit, le Congrès ayant ainsi arrêté, conformément à la motion de lord Salisbury l’organisation territoriale substituée à celle de San Stefano, détermina rapidement la constitution de la Principauté bulgare et de la Roumélie orientale ; les pouvoirs administratifs et militaires du prince et du Sultan dans l’une et l’autre province ; et, tout en construisant cette œuvre qui devait être, on le sait, assez peu durable, montra beaucoup de sagesse en préservant les traités commerciaux et la liberté des cultes. Toutes ces décisions furent prises paisiblement et à l’unanimité. Mais bien que la solution pacifique de la question