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45 000 parcelles ; celui de la commune de Chaingy (Loiret), 48 000 parcelles pour un territoire de 2 179 hectares. Voilà l’abus : mais il faut distinguer entre la division des propriétés et le morcellement ; celui-ci d’ailleurs n’est pas toujours une entrave à la culture, lorsqu’il ne dépasse point certaines limites. N’offre-t-il pas à l’ouvrier agricole la facilité de devenir propriétaire ; ne permet-il pas d’avoir des parcelles propres à diverses cultures ; ne fait-il pas l’office d’une assurance contre les fléaux qui ne frappent qu’une partie du territoire ?

Jusqu’en 1860, le partage en nature, qui accroît la dispersion des propriétés, semble la règle ; aujourd’hui le bon sens, l’intérêt bien compris des héritiers, triomphent, et l’on divise plus rarement les parcelles de la succession. Et cette réaction coïncide avec une autre tendance, celle de s’arrondir ; les échanges, les achats de parcelles contiguës atténuent donc les effets du morcellement. Les mariages eux-mêmes ont pour résultat, et parfois pour but, de réunir deux patrimoines, de grouper les pièces de terre et de les agrandir : « Les démembremens se trouvent compensés par des remembremens incessans. » La loi du 3 octobre 1884, qui facilitait les échanges, n’a pas produit les résultats qu’on pouvait espérer : les cultivateurs hésitent, ils ont toujours peur de faire un de ces marchés avec le diable dans lesquels l’acheteur ne reçoit qu’un peu de cendres et de feuilles sèches ; ils veulent bien acheter, mais non aliéner, engraisser le patrimoine, non le faire maigrir.

Dans divers pays, les remaniemens territoriaux peuvent devenir obligatoires[1]. En France, on a jusqu’ici reculé devant la contrainte, et avec raison, car il ne faut encourager ni le despotisme, ni le socialisme d’Etat ; nous n’avons que trop le goût d’être réglementés, et l’Etat n’a que trop la manie de se mêler de tout, comme au temps de Louis XIV ou de Napoléon Ier. Il y a eu cependant quelques remembremens collectifs, mais votés, consentis librement par les propriétaires des communes ; tel celui de Tantonville (Meurthe-et-Moselle). Le travail commencé en 1887 fut terminé en 1889 ; il donna un boni de dix hectares, aboutit à la création de 37 nouveaux chemins ruraux, de 4 à 5 mètres de largeur et d’une longueur de 17 kilomètres. Grâce à ces chemins, le nombre des parcelles « désenclavées » est

  1. Tisserand, Rapport sur l’enquête agricole en Alsace. — Bulletin du Ministère de l’Agriculture. — De Foville, le Morcellement, p. 165.