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Diminution des frais généraux, esprit d’initiative et de progrès, puissance du capital, tels sont les avantages évidens de la grande culture ; ses protagonistes observent que la petite culture, elle aussi, a une main-d’œuvre à payer, puisque son maître est son propre domestique, et doit, en fin de compte, déduire de ses recettes la représentation de son propre travail : s’il n’exploitait pas pour son propre compte, il recevrait trois, quatre, cinq cents francs comme ouvrier agricole, sans compter la nourriture. Oui, mais cette classe obtient d’elle-même des résultats prodigieux, améliore sa situation par les qualités d’ordre, de sobriété poussées à l’extrême, sait vivre de peu, se priver, travailler beaucoup. Le comte d’Haussonville, dans son beau livre sur la Misère, rapporte cet éloge d’un fils par son père : « Et avec cela, monsieur, si intéressé ! » Le mot a été pensé cent mille fois par les ruraux ; cité dans un salon, il fait sourire nos beaux-esprits : il a cependant son sens profond.

« La force nous manque, » répètent les petits cultivateurs ; en effet, le capital ou la force leur fait défaut, et c’est pourquoi ils ne peuvent pratiquer la culture intensive, augmenter leur bétail, modifier leurs assolemens. Souvent, il est vrai, ils ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes ; leur amour pour la terre détruit les moyens de la bien cultiver, les oblige à s’en dessaisir. L’auteur d’une étude sur Saffré (Loire-Inférieure) le dit expressément : « En général, les cultivateurs ont assez d’argent pour bien exploiter leurs terres ; s’ils ne le font pas mieux, c’est que la coutume exerce chez eux une trop grande influence, ou qu’un amour immodéré de la terre les pousse, chaque année, à employer leurs économies à l’achat de quelques nouvelles parcelles… »

La moyenne, la petite culture, occupent des journaliers, des ouvriers, mais d’une façon assez irrégulière ; le grand cultivateur garde son personnel hiver comme été, s’ingénie à lui trouver du travail pendant la mauvaise saison, lui assure ainsi une stabilité à laquelle il tient beaucoup et avec raison.

Quant à la moyenne culture, il faut distinguer : le maître travaille-t-il de ses propres moins avec ses salariés, donnant ainsi à son labeur le maximum d’intensité ; ou se contente-t-il d’occuper les ouvriers ? Dans le premier cas, les frais de main-d’œuvre sont très atténués ; dans le second cas, il supporte les inconvéniens des deux autres cultures.