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tactique vis-à-vis des pouvoirs publics, toujours disposés à s’en prendre à la terre, qui est toujours là, qui ne se mobilise pas, comme le capital, qu’on retrouve toujours où on l’avait laissée.

Et voici, en gros, ce que disent les mécontens.

Autrefois nos villages comptaient beaucoup de familles de huit, douze, quatorze enfans : aujourd’hui, elles sont assez rares, et les comices agricoles accordent des primes aux pères de sept, huit enfans ; notre cultivateur devient malthusien, ne regarde plus l’enfant comme un élément de prospérité. Ce qui fait l’étourneau maigre, c’est la grosse bande, répète-t-il faussement ; trois, quatre héritiers lui suffisent largement ; encore cherche-t-il à retirer de la culture les mieux doués, comme si elle n’était pas l’industrie mère qui réclame les plans, les travaux sagement conçus, savamment exécutés.

Il y a soixante ans, le fond de la nourriture dans ma province se composait de pain bis, avec les gaudes, le lard, les légumes ; de la viande douce aux Boudins et à la Fête. On s’habillait de droguet, on vendait tout son blé, et les souliers étaient un luxe ; un bon domestique de ferme se louait 150 francs ; aujourd’hui il coûte 300 francs au moins, et se montre bien autrement difficile sur la nourriture. Chacun a son parapluie ; les jeunes filles singent les toilettes des dames du château, font tirer leurs photographies ; les garçons ont tous de belles bottes, réclament quarante sous, trois francs, pour jouer aux quilles et boire au cabaret le dimanche. Si le père refuse, ou ne donne pas assez, ils font des loups. Faire un loup, c’est prendre en cachette, sur la provision de la famille, du blé, de l’avoine, qu’on vend à un voisin complaisant, ou qu’on apporte à l’épicier pour payer ses dettes : il y a des familles où chacun fait des loups, et celles-là vont au galop sur le chemin de la ruine.

Causez avec les anciens, ils vous diront tout cela, et les jeunes n’y contredisent point. On ne fait plus de sous, gémissent-ils ; la terre est devenue une belle-mère. Le vrai syndicat qu’il faudrait reconstituer, c’est celui du soleil et de la nature. Trop d’impôts ; les dégrèvemens font l’effet d’une goutte d’eau à un voyageur mourant de soif. Autrefois l’on disait :


Et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône.


Notre curé aujourd’hui, c’est le fisc, et ses saints, les impôts,