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II

J’ai dit plus haut qu’après la première réunion où l’antagonisme de la Russie et de l’Angleterre s’était manifesté avec une vivacité inquiétante, les plénipotentiaires avaient jugé nécessaire de se donner quelque temps pour prévenir, en prenant contact les uns avec les autres, des malentendus fâcheux et des disputes inutiles. Bien que les grandes résolutions fussent prévues, il subsistait encore trop de litiges épineux pour qu’on pût négliger ces pourparlers de salon qui sont l’une des meilleures ressources de la diplomatie. Ils profitèrent donc de ces quelques jours d’intervalle pour se connaître, étudier leurs dispositions respectives, et démêler, en causant, les élémens d’entente des opinions irréductibles. Ce travail s’est accompli plus vite qu’on n’eût pu l’espérer de tant de caractères divers : non pas, comme on le verra plus loin, qu’il ait fait disparaître d’inévitables divergences, mais cette période de réflexions calmes et de relations personnelles a sensiblement rapproché ces négociateurs venus de tant de pays différens, et a contribué à maintenir sur un ton généralement affable les discussions complexes et l’expression des idées contraires.

Je n’ai pas à retracer ici la longue série des délibérations, et je m’en réfère sur ce point aux protocoles qu’en nos temps de publicité j’ai dû rédiger avec beaucoup plus de détails qu’on ne le faisait autrefois. Je chercherai seulement, dans cette étude, à mettre plus en lumière les principales scènes et à en préciser le sens et la physionomie d’après les indications que j’ai recueillies alors, et surtout d’après l’impression que j’ai gardée des incidens dont j’ai vu de si près les acteurs.

Ce fut le 22 juin que le Congrès aborda la plus grosse difficulté, le problème bulgare. Il devait en effet commencer par-là : c’était le nœud de l’affaire : mais on vit sur-le-champ qu’on se faisait quelque illusion sur la maturité de la question, et que, malgré les entretiens intimes, le diapason n’était pas fixé. Les représentans de l’Angleterre notamment et ceux de la Russie n’interprétaient pas de même la transaction à intervenir. Depuis longtemps, il est vrai, les Puissances avaient décidé en principe la dislocation de la Grande Bulgarie de San Stefano qui, s’étendant du Danube à la mer Egée, englobant la Macédoine,