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mais de vastes espaces, cultivés et les anciens petits centres ruraux dont le pittoresque sera, jusqu’à un certain point, respecté. Les noyaux actuels de nos cités resteront des rendez-vous de plaisir et d’affaires, des agglomérations de clubs, de théâtres, de banques, de bibliothèques, d’églises, de bazars et de boutiques de toutes sortes. Le monde jaune aura un centre sur la place duquel M. Wells ne paraît pas encore fixé. L’Amérique aura le sien entre Chicago et l’embouchure du Saint-Laurent. Le centre de l’Europe se trouvera situé vers le Rhin, et Paris en sera le West End. L’auteur, qui paraissait faire peu de cas de nous dans ses livres précédens, nous prône fort dans ceux-ci. Il lui suffit de mettre le pied dans une librairie française pour reconnaître la variété de nos besoins intellectuels et la souple universalité de notre esprit. Si l’Angleterre ne réforme son triste système d’éducation et si elle ne relève son idéal littéraire, il craint que l’Anglais ne soit battu par le Français dans la lutte pour la suprématie qui ne manquera pas de s’engager entre les trois grands idiomes européens. Il adresse de grands complimens à notre république que je ne suis pas bien sûr qu’elle mérite tous, mais ce n’est pas à moi de lui révéler nos misères.

C’est la forme de notre gouvernement qui nous vaut ces sympathies, car M. Wells est républicain : grande originalité, on en conviendra, dans un pays aussi violemment et aussi universellement monarchique que l’Angleterre. La Nouvelle République, tel est le nom dont il désigne le futur État monstre qui doit absorber toutes les autres organisations politiques et gouverner la terre. Et, en même temps que la fusion des langues et des nations, aura lieu l’unification des classes. M. Wells en compte quatre dans notre état social présent. Deux classes, l’une à l’étage le plus élevé de la société, l’autre à l’étage inférieur, ne travaillent pas, ne produisent rien. La première est celle des « actionnaires irresponsables. » Pourquoi irresponsables ? Il semble, que c’est, au contraire, la classe responsable par excellence, car tout ce qu’elle détient, pouvoir, fortune et jusqu’à l’existence de ses membres répondent à toute heure de l’abus qu’elle peut faire des forces sociales dont elle a la direction. D’ailleurs les actionnaires ne sont pas une classe ; mais toutes les classes contribuent à grossir leurs rangs. Puis-je prendre au sérieux un groupement social qui range dans la même catégorie, avec les Carnegie, les Astor, les Pierpont Morgan, une vieille