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ROMANCIER, PROPHÈTE ET RÉFORMATEUR
H. G. WELLS


I

Il y a une douzaine d’années, une des grandes cramming shops de Londres (c’est le nom que l’on donne, en argot universitaire, aux établissemens spéciaux qui se chargent de la préparation exclusive des examens) comptait parmi ses professeurs un jeune homme appelé H. G. Wells. Après avoir passé par University College, il avait achevé ses études au Royal College of Science. Il avait dû éprouver ce qu’on éprouve, à vingt ans, lorsque, au sortir d’un milieu social obscur et modeste, on pénètre, presque sans transition, dans la haute vie intellectuelle. Cette impression, si je ne me trompe, est double. C’est, d’abord, la sensation d’un brusque élargissement des facultés, des désirs, des horizons. Il s’y joint, bientôt, une disposition amère et agressive contre ceux qui prétendent détenir les avantages du rang, de la fortune, de la célébrité et du pouvoir. Maintenant qu’on est devenu leur égal par la pensée, pourquoi demeurerait-on leur inférieur au point de vue social ? Cette double disposition s’évapore en boutades railleuses, ou se cristallise en théories révolutionnaires, suivant le tempérament de l’homme qui traverse cette crise de colère et d’enthousiasme. Le temps de collège terminé (je prie le lecteur de vouloir bien se rappeler que le « collège » en Angleterre, c’est l’éducation supérieure), la crise prend un caractère aigu : il faut choisir sa voie, gagner son pain. Il dut y avoir, à ce moment, des heures difficiles dans l’existence de M. Wells. C’est alors qu’il connut l’ennui