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procession des États généraux qui, partie de l’église Notre-Dame et se rendant à Saint-Louis, traverse les rues de Versailles ; les solennelles séances des députés de la Nation ; l’apostrophe de Mirabeau au grand maître des cérémonies ; le serment du Jeu de paume, « ce coup terrible, écrit Marie-Antoinette, qu’ont frappé les députés du Tiers en se déclarant Chambre nationale ; » le banquet des gardes du corps dans la salle de l’Opéra ; les équipages de la Cour qui veut fuir, comme plus tard, au temps de Varennes, arrêtés aux grilles de la ville par la garde nationale de Versailles, commandée par Lecointre, l’un des futurs conventionnels qui condamneront Louis XVI ; l’arrivée tumultueuse de la populace parisienne qui, soudain, débouche dans les vastes avenues de la ville royale, annonçant qu’elle vient chercher « le boulanger, la boulangère et le petit mitron, » alors que le Roi est à la chasse au tir, dans les bois de Meudon, et la Reine, pour la dernière fois, au Petit-Trianon ; les vains efforts de La Fayette qui, malgré sa sincérité, est impuissant à tenir ses promesses ; l’envahissement du château par une bande de forcenés qui pénètre jusque dans la chambre de la Reine ; la fuite de Marie-Antoinette, effarée et demi-nue ; la mort héroïque des gardes du corps dont le sang arrose le seuil de ces petits appartemens, œuvre de sa fantaisie et de son caprice, où elle s’était tant plu à goûter les douceurs du repos et de l’amitié ; enfin sur ce balcon, qui domine orgueilleusement la vaste perspective de Versailles, l’apparition suprême du Roi, de la Reine, du Dauphin forcés de venir s’incliner devant la toute-puissance populaire, avant de prendre, à la suite de ceux qui seront leurs bourreaux, cette longue et douloureuse route vers Paris où les attendent la prison du Temple et la place de la Révolution.

Telle fut la fin du Versailles royal. Qui pourrait lui contester une tragique grandeur ? Et tout cela se passe à la porte de ces cabinets où Louis XV, par ses fautes, avait, au cadran de ces belles pendules dont il avait le goût, avancé l’heure du « déluge » et, comme il écrivait à Choiseul, de la venue « de cette tourbe républicaine » contre laquelle, la sentant approcher, il avait à plaisir désarmé l’infortuné qui allait lui succéder.

En un mot, c’est dans ces appartemens, ces cabinets, ces jardins, ces maisons, — dont l’histoire, au cours de ces dernières années, a été nettement et définitivement précisée, — que s’accomplirent les suprêmes destinées de la monarchie des