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d’Hubert Robert nous ont gardé l’image. Au milieu de cet immense abatis d’arbres et de ces fondrières, il fallut tracer des chemins provisoires pour les sorties et les promenades des princes et des personnages de la Cour. L’aspect des jardins de Versailles subit alors une véritable transformation. Plusieurs bosquets remontant à Louis XIV firent place à des quinconces, à des fragmens de parc anglais qui, alors même qu’ils offrent un réel agrément, comme les bains d’Apollon actuels, sont un anachronisme et jurent avec le cadre qu’ils occupent.

Alors disparut le Labyrinthe, presque aussi célèbre, dans l’histoire de Versailles, que la grotte de Téthys et sur l’emplacement duquel fut planté le bosquet de la Reine, qui devait voir, par une nuit d’été, une fille d’opéra, la demoiselle Oliva jouant à l’adresse du cardinal de Rohan le rôle criminellement prêté par Mme de Lamotte à Marie-Antoinette.

En ces premières années du règne de Louis XVI, fleurirent les pastorales de Trianon qui, elles aussi, à leur manière, furent un des signes précurseurs de la tempête. Ne retentissaient-elles pas du nom de Jean-Jacques dont la Reine et le Comte d’Artois jouaient, presque en même temps que les menaçantes comédies de Beaumarchais, les ironiques idylles ? N’était-ce pas Rousseau, dont Robespierre, l’un des futurs hôtes de Versailles, devait être le terrible disciple, qui venait d’écrire ces lignes, au point de vue de l’art classique des jardins, aussi révolutionnaires que pouvaient l’être, comparés aux livres de Bossuet, le Contrat social ou l’Émile : « Ah ! si un architecte entrait dans le jardin de Julie, les belles allées qu’il ferait percer ! Les belles charmilles bien dessinées, bien équarries, bien contournées ! les beaux gazons ronds, carrés, échancrés, ovales !… Quand tout cela sera exécuté, il aura fait un très beau lieu dans lequel on n’ira guère et dont on sortira pour aller à la campagne !… La nature ne plante rien au cordeau !… » Et à ces allées si droites pour lesquelles il n’avait pas assez de railleries, Jean-Jacques opposait l’aimable désordre des bosquets de Clarens, « ces allées tortueuses et irrégulières, bordées de bocages fleuris, couvertes de mille guirlandes de vigne de Judée, de vigne vierge, de houblon, de liseron, de clématite… ces guirlandes qui semblaient jetées négligemment d’un arbre à l’autre comme dans les forêts y formaient des espèces de draperies… toutes ces petites routes bordées et traversées d’une eau limpide et claire,