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les grands appartemens de Louis XIV. Il y a là une réelle exagération ; rien ne mérite moins non plus une aussi dédaigneuse épithète que quelques-unes des pièces, d’une décoration si élégante, dont se composent ces petits cabinets « où Louis XV était absolument chez lui autant qu’eût pu l’être un simple particulier, qu’il s’était réservés de préférence, qu’il disposait à son goût, où il aimait vivre, sûr de n’y être jamais dérangé. » Il y avait tout un service spécial, cuisinier, maître d’hôtel et autres domestiques, presque sans attache avec sa résidence officielle située à quelques pas et d’où il disparaissait souvent, après y avoir accompli aussi sommairement que possible quelques-uns des actes auxquels l’obligeait l’étiquette. Bien plus, dans ces cabinets eux-mêmes, le Roi s’ingéniait à se ménager, si l’on peut ainsi parler, une sorte de retraite plus intime encore, et cela dès un temps où il n’avait pas abdiqué toute réserve. « La salle à manger, écrivait en 1747 le duc de Croy, était charmante et le souper fort agréable, sans gêne. On n’était servi que par deux ou trois valets de la garde-robe, qui se retiraient après vous avoir donné ce qu’il fallait qu’on eût devant soi… Le Roi était gai, libre, mais avec une grandeur qui ne se laissait pas oublier. Il ne paraissait plus du tout timide, mais fort d’habitude, parlant très bien, se divertissant beaucoup et sachant alors se divertir. Il paraissait fort amoureux de Mme de Pompadour, sans se contraindre à cet égard, ayant toute honte secouée… Il me parut que ce « particulier » des Cabinets ne l’était pas, ne consistait que dans le souper, et que le véritable « particulier » était dans les autres petits cabinets, où très peu des anciens et des intimes courtisans entraient… Nous fûmes dix-huit serrés à table… Ensuite le Roi passa dans le petit salon, il y chauffa et versa son café, car personne ne paraissait là et on se servait soi-même… Il fit une partie de comète avec Mme de Pompadour, M. de Coigny, Mme de Brancas et le comte de Noailles… Le reste de la compagnie fit deux parties petit jeu, le Roi ordonnant à tout le monde de s’asseoir, même ceux qui ne jouaient pas. Je restai, appuyé sur l’écran, à le voir jouer et, Mme de Pompadour le pressant de se retirer et s’endormant, il se leva à une heure et lui dit à demi-haut, ce me semble, et gaiement : « Allons, allons nous coucher. » Les dames firent la révérence et s’en allèrent et lui aussi fit la révérence et s’en alla dans ses petits cabinets ; et nous tous descendîmes le petit escalier de Mme de