Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

armées de la France, mais chaque jour, chacun de ces Alsaciens, pris comme il est par des intérêts positifs, peut-il trouver en soi une dose suffisante d’énergie pour combattre le germanisme ? » Au soir, le soleil allant bientôt disparaître, je me trouvais, sous le Maennelstein, au milieu des sapins, dans le kiosque qui domine la route de Sainte-Odile à Barr. Soudain y pénétra une section du Club vosgien allemand qui avait déjeuné au monastère et qui redescendait. Ces gens avaient copieusement goûté les petits vins d’Alsace. A leur tête marchait une « frau-major, » la femme d’un commandant, petite et ronde et suspendue au bras de son mari, un colosse, assez en peine, lui-même, de marcher avec la dignité qui convient à son grade. Entrés avec de grands cris, ils se turent, tous, émerveillés par la beauté du spectacle : à leurs pieds, le vallonnement, la profondeur des bois interminables, et, dans le lointain, sous un soleil rouge, toute la bonté de la plaine d’Alsace. Alors la grosse commandante se jeta au cou de son mari, et des larmes, de vraies larmes d’enthousiasme et de boisson coulaient des yeux de cette Walkyrie :

— Ah ! Fritz ! Fritz ! s’écriait-elle ; quelle province tu conquis !

Or, je me demandais, regardant cette troupe : « Quelle chose est-il dans vos projets de faire avec notre pays que nos pères ont aménagé, et lui-même, si vivace, bien qu’il se taise, quel pain fera-t-il de votre pâte barbare ? »


MAURICE BARRES