Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus vive que leurs coups visaient l’absolutisme royal personnifié en ses hôtes. A dire vrai, c’était méconnaître la part très grande que Versailles eut à la décadence de la royauté, en contribuant à l’écarter de la nation, en la rendant de plus en plus étrangère au mouvement des esprits, en ruinant et en asservissant la noblesse, en donnant à la monarchie un cadre aussi coûteux que solennel, où les débauches de Louis XV et l’imprudent abandon de l’étiquette royale par Louis XVI et Marie-Antoinette devaient, plus qu’ailleurs, offrir un saisissant et dangereux contraste avec les traditions et les institutions que Louis XIV avait dotées de ce fastueux décor. Si, dans ses premières années, la pompe de Versailles sembla en entière harmonie avec son maître, l’heure vint vite, et le Régent l’avait prévu, où les successeurs du grand Roi devaient, d’année en année, sentir peser sur eux d’un poids plus lourd la gêne d’une résidence aussi grandiose et aussi isolée. Ils n’eussent pas dit, comme l’auteur des Lettres persanes : « Je hais Versailles, tout y est petit. » Ils y trouvaient tout trop grand. Alors même que le respect d’un passé qu’ils voyaient sombrer, mais qui restait leur raison d’être, les retenait à Versailles, leur interdisant de se dérober officiellement à la tyrannie d’un cérémonial, par eux-mêmes jugé insupportable, ils s’ingéniaient à le fuir à Trianon, à l’Ermitage, à Marly, à Choisy, à la Muette, à Bellevue, à Saint-Hubert, et, dans le château même, jusque dans ces cabinets exigus qui, à la porte des vastes appartemens de Louis XIV, semblent à l’adresse de ceux-ci une raillerie, pour ne pas dire une injure.

De récens et curieux travaux ont éclairé d’un surcroît de lumière ces périodes successives et ces divers aspects de Versailles. Redevable au temps écoulé d’une impartialité que, seul, il fait naître et durer, cette histoire se dégage de toutes ces recherches plus complète, plus précise. Est-ce à dire que, dans ses lignes maîtresses, elles l’aient modifiée davantage que tous les mémoires publiés depuis un quart de siècle, pour ne citer que cet exemple, ont changé la physionomie de Napoléon et l’impression qu’avait laissée au monde le moderne César ? Ici comme là, ce n’est pas la multiplicité des détails inédits ou oubliés qui crée l’intérêt : il est presque tout entier inhérent aux événemens, à leurs causes, à leurs conséquences. En un mot, qu’il s’agisse d’une époque ou d’un homme, c’est l’importance du sujet qui fait le prix de ces détails ; ils permettent d’avoir