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les souffrances se sont fondues en une mélancolie douce, en une sérénité marmoréenne. C’est la tête d’une femme devenue consciente par la douleur.


IV. — ÉPILOGUE

Wagner avait atteint l’âge de cinquante et un ans, et aucune éclaircie ne s’annonçait dans son trouble horizon. Le ciel semblait même se rembrunir jusqu’à l’envelopper de ténèbres impénétrables. Il n’avait pas cessé de croire en lui-même, mais il avait perdu la foi en son étoile, quand, tout à coup, il se fit dans sa vie un changement si brusque, si merveilleux, qu’il ressemble à la transfiguration d’un paysage au coup d’une baguette magique. D’un jour à l’autre, la destinée avare devint pour lui la fée prodigue et lui apporta tous les bonheurs rêvés dans une corbeille d’or. Sa correspondance, avec Mme Wesendonk finit à ce moment précis. L’intimité cesse, coupée, dirait-on, par un coup de hache, et ce grand amour, qui avait rempli dix ans de la vie du maître et survécu à bien des épreuves, disparaît comme dans une oubliette. En lisant les dernières lettres de Wagner à son amie, on ressent un certain froid au cœur par le contraste avec les précédentes. Pourquoi ce brusque dénouement sans raison visible ? Pourquoi ce tarissement subit d’un sentiment qui semblait jaillir d’une source inépuisable ? — Énigme insoluble pour qui ne saurait pas ce qui se passait alors dans la vie intime de Wagner. En y jetant un regard, on devine, — et on comprend. La source existait toujours, mais le fleuve avait été détourné par une main habile et puissante.

Au printemps de l’année 1864, Wagner, criblé de dettes et à bout de ressources, était appelé à Munich par Louis II de Bavière. Ce jeune roi, élevé dans un château solitaire des Alpes Bavaroises, âme angélique de rêveur, candide comme une vierge, idéaliste comme un héros de Schiller, avait assisté à l’âge de seize ans à une représentation de Lohengrin. Transporté d’enthousiasme, il avait étudié les œuvres de l’artiste, s’était pénétré de ses idées et n’avait plus eu d’autre pensée que de l’aider dans la réalisation de son concept d’art. A peine monté sur le trône, il mettait ce projet à exécution et envoyait son chambellan à la recherche du maître. Wagner accourut à Munich. Voici comment il raconte à Mme Wille sa première