Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VIII. — COMMENT L’ACTIVITÉ ÉTERNELLE DE L’ALSACE S’ADAPTERA-T-ELLE AUX CIRCONSTANCES PRÉSENTES

Pour que cette légende, née d’une crise, demeurât vénérable sur une terre où, sans cesse, arrivent d’outre-Rhin de nouvelles masses humaines, il a fallu que chaque génération approuvât la fille d’Adalric de s’être soustraite à la tradition brutale de ses pères et soumise à l’autorité spirituelle. Il a fallu qu’à travers les siècles, sur cette rive gauche du Rhin, une élite se félicitât quand des élémens germains étaient latinisés. Aujourd’hui encore, sur la riche région où l’Ottilienberg règne, les élémens germaniques et gallo-romains sont en contact. Le problème le plus actuel et le plus pressant y demeure celui qu’incarne sainte Odile. Et voilà bien pourquoi la fille légendaire du farouche Adalric demeure la patronne de l’Alsace, alors qu’ont disparu tant d’autres saints, jadis fameux, mais qui, peu à peu, ne s’étaient plus rattachés à rien de réel.

Notre sol a produit cette belle figure d’Odile dans le moment où nous fûmes le plus près de réaliser de grandes destinées, à l’aube de la fortune carolingienne, et quand le christianisme n’avait pas encore complètement discipliné les jeunes forces barbares. Mais sainte Odile n’est pas d’une époque. Elle est une production de l’Alsace éternelle, le symbole de la plus haute moralité alsacienne. Elle représente ce qu’il y a sur cette région de permanent dans le transitoire.

Les volontés que la conscience alsacienne projette et glorifie dans la légende de sainte Odile s’étaient manifestées, dans une longue série d’actes, bien avant que la sainte ne fût née, et, longtemps après qu’elle est morte, ces mêmes volontés continuent de nous animer. L’office rempli par la citadelle romaine, par le mur druidique qui soutint l’assaut des Cimbres et des Teutons, et par les veilleurs du Maennelstein et du Wachtstein qui guettaient les passages du Rhin, fut indéfiniment poursuivi, avec des chances variées, avant que fût acquise la plus incomplète romanisation des Germains, et cette gloire merveilleusement servie par les Louis XIV et les Napoléon nous allait être donnée, quand le flot de 1870, en humiliant la civilisation romaine, vint remettre en question notre existence sur le Rhin. Ainsi, de nos jours, il nous faut le même miracle qu’au temps d’Odile, fille