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Cette illustre fille naquit du duc d’Alsace, Adalric, qui, dans la seconde moitié du VIIe siècle, administrait notre lande de terre pour le compte des Mérovingiens. Il était attaché à la famille des Pépins, grands propriétaires entre la Meuse et la Moselle. — Ceux-ci, déjà très puissans dans l’Est, allaient bientôt donner la dynastie des Carolingiens qui montrèrent, dit-on, une intelligence profonde de leur époque et restaurèrent l’idée d’État. Aussi leurs premiers cliens peuvent être interprétés comme des serviteurs et collaborateurs de la préparation française. — Adalric, toutefois, était farouche. A la suite de divergences politiques, il martyrisa saint Léger et saint Germain. Au reste, bon chrétien. Il eut des remords et bâtit, sur le sommet du Hohenburg, un couvent expiatoire dont sa fille Odile fut la première abbesse.

Cette fondation et le choix de l’abbesse causèrent une surprise dont nous percevons encore le remous par les récits merveilleux de la littérature hagiographique. Cette émotion joyeuse s’explique. Les lieutenans de l’Empire avaient disparu, mais les chefs ecclésiastiques demeuraient. Le catholicisme, c’était encore Rome et c’était de l’ordre. Bien qu’ils fussent durs, égoïstes et anarchiques, prompts à prendre leurs armes pour augmenter leurs biens et dédaigneux de l’intérêt général, les Barbares, ces hommes tout neufs, sentaient bien la difficulté de gouverner, sans une tradition appropriée, cette Gaule qui venait de leur échoir ; — cette Gaule où il y avait des villes, des cultures, des manières raffinées de vivre et de sentir, une civilisation très complète, enfin, et un idéal. Ils furent obligés, parce que c’était leur intérêt et la condition de leur succès, d’accepter les formules que leur proposait le christianisme, et, dans la mesure où ils les acceptèrent, ils se romanisèrent.

Odile fut le signe et le gage de l’entente d’un vainqueur tout neuf et d’un clergé civilisé. Elle représente un idéal de paix, de charité, de discipline, une moralité enfin que l’analyse peut séparer de l’Eglise, mais qui, en fait, fut formée à son ombre et porte à jamais sa marque. Elle fut tant admirée qu’on la sanctifia. Les poètes et les émotifs suivirent les politiques. Ils inventèrent et propagèrent les légendes. Odile, c’est le nom d’une victoire latine, c’est aussi un soupir de soulagement alsacien : une commémoration du salut public.