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passion, longtemps comprimée, jaillit enfin en gerbes immenses du cœur des deux amans, comme un geyser formidable. Dans le billet suivant, il semble que l’on voie l’amour renonciateur planer comme un aigle sur ce geyser et s’y tremper les ailes. Téméraire oiseau !


Voici encore une fleur d’hiver pour l’arbre de Noël. Elle est pleine de miel et sans le moindre poison.


Suprêmement heureux,
Loin de toute douleur,
Libre et pur
A jamais à toi —
Les plaintes et les renoncemens
De Tristan et d’Yseult,
Dans l’or chaste des sons,
Je les mets à tes pieds
Pour qu’ils célèbrent l’ange
Qui m’a porté si haut !


Comment répondre à un tel hommage ? Ne fallait-il pas aider le maître dans son effrayant travail ? Ne fallait-il pas récompenser l’ami d’un si gigantesque effort ? Une idée subite lui vint. Dans ses momens de tristesse, elle avait écrit quelques vers — car elle aussi était poète à ses heures[1]. — Discrètement, avec un mélange subtil de douceur et d’intensité, ces poésies disaient, sous le voile des images, la plainte de cette âme, sa résignation douloureuse, son aspiration sans espoir vers une félicité immense et impossible. En les écrivant, elle avait obéi au seul besoin de déverser sur une feuille de papier le trop-plein de son cœur. Jamais celui qui les avait inspirées ne devait les connaître. Maintenant une pensée l’obsédait : faire don de ces vers à l’auteur de Tristan en remerciement de son superbe message. Elle hésita longtemps, car un secret pressentiment l’avertissait que l’exécution de ce projet aurait des suites graves. Finalement elle céda au souverain besoin du véritable amour, qui est de montrer à l’être aimé le fond de son cœur. Je traduis une de ces pièces pour en donner la note dominante.


DANS LA SERRE

Hautes voûtes de verdure, — couronnes de feuillages, — baldaquins d’émeraude, — enfans des zones lointaines, — dites, pourquoi vous

  1. Mme Wesendonk a publié plus tard un recueil de vers délicats et poétiques et un volume de Contes dans la manière d’Andersen.