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Un événement heureux, qui comblait le vœu le plus cher de l’artiste, vint encore resserrer ces liens en rapprochant les deux familles. Depuis longtemps Wagner avait fait comprendre à son amie que son plus grand désir était de posséder une maison à lui, l’« Asile » rêvé. Les vers suivans, qui se trouvent dans la correspondance, font allusion à ce désir :


Heureuse hirondelle, si tu veux couver — bâtis-toi ton propre nid ; — mais pour couver en paix — je ne puis bâtir la tranquille maison ! — La tranquille maison de bois et de pierre. — Hélas ! qui veut être mon hirondelle ?


Mme Wesendonk comprit ce vœu si poétiquement exprimé. Elle fut pour Wagner une hirondelle de génie et sut lui construire un nid selon son rêve. Voici comment. M. Wesendonk venait de faire bâtir pour lui et pour sa famille une magnifique villa dans un faubourg de Zurich. C’était un véritable palais, s’élevant sur une terrasse avec colonnade à l’entrée, grand hall au rez-de-chaussée et deux loggias au premier étage. La vue s’étendait par-dessus le parc en pente sur le riant lac de Zurich et le splendide panorama des Alpes Bernoises, fermant l’horizon de sa dentelle de neige. Par son habile et fervente intercession, Mme Wesendonk obtint de la grande libéralité de son mari l’acquisition d’une petite maison spacieuse et commode, limitrophe de ce domaine, ayant son jardin particulier, et destinée au compositeur. Wagner s’y installa avec sa femme dès la fin de l’année 1857. Il était entendu que l’artiste ne paierait son loyer qu’en musique et par sa présence réelle. La villa Wesendonk fut inaugurée par un concert donné dans le grand hall, à un cercle choisi, sous la direction du maître. Mme Elisa Wille, qui jouera un peu, dans cette histoire, le rôle de la fidèle et prudente Brangaine, dit dans ses Mémoires : « Tous ceux qui se réunissaient alors dans la belle villa, sur la colline verte, s’en souviennent comme d’une existence transfigurée. La richesse, le goût, l’élégance y embellissaient la vie. Rien ne gênait le maître de la maison dans la mise en train de ce luxe amical, et il était plein d’admiration pour l’homme extraordinaire dont le destin l’avait rapproché. La maîtresse de maison, délicate et jeune, pleine de dispositions idéales, ne connaissait encore de la vie que sa surface, pareille au courant tranquille d’une rivière.