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miliciens sont blessés. Le mécontentement contre les gardes du corps, gardes de la Porte, gendarmes rouges, chevau-légers et autres mousquetaires devient si grand qu’un rapport de police attribue une légère hausse de la rente au bruit que le Roi va supprimer sa Maison militaire.

Le poids odieux de l’occupation étrangère et les provocations vexatoires des gardes du corps ont pour effet immédiat de refroidir l’enthousiasme royaliste que Paris a montré ou paru montrer pendant les premiers jours. Louis XVIII serait encore à Gand que les alliés n’en seraient pas moins à Paris, mais la coïncidence de ces deux faits : l’entrée de l’ennemi, la rentrée du Roi, frappe l’esprit et impose au raisonnement. Ceux des Parisiens qui étaient le mieux disposés pour Louis XVIII trouvent que le plaisir de savoir le Roi aux Tuileries est chèrement payé par l’embarras, l’humiliation et le danger de loger chez soi un, deux, trois, jusqu’à dix soldats ennemis, de subvenir à leur nourriture à raison de cinquante sous par homme, et de vivre jour et nuit sous le tranchant du sabre. Dès le 12 juillet, les rapports de police mentionnent que le nombre des cocardes blanches diminue beaucoup à la suite des excès des troupes alliées. « Notre bon Roi, dit-on, aurait mieux fait de rester en Flandre que de faire venir des esclaves du Nord pour asservir la nation française. » Des jeunes gens répondent à des mendians : « — Allez trouver votre bon Roi. Les Prussiens ne nous ont rien laissé. » Aux Tuileries, on intercepte cette lettre d’une femme à Louis XVIII : « Notre Roi très chrétien qui va à la messe tous les jours nous amène ses compagnons de voyage, les Prussiens et les Cosaques, pour coucher avec nous. » On colporte des caricatures où le Roi est figuré, les pieds dans un baquet de sang, entre un Anglais et un Prussien. Au faubourg Saint-Marceau, le 19 juillet, on promène de cabaret en cabaret un cochon avec une fleur de lys sous la queue et l’on boit « à la santé du gros papa. »

En moins de quinze jours, du 10 au 23 juillet, le tribunal correctionnel prononce quarante-cinq condamnations pour paroles ou manifestations séditieuses. Cris de : Vive l’Empereur ! ou de : A bas le Roi ! quinze jours de prison ; port d’un œillet rouge : deux jours ; avoir chanté la Marseillaise : quinze jours ; ne s’être pas découvert sur le passage du Roi : quatre jours ; avoir crié : A bas les gardes du corps ! huit jours ; avoir dit que