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Montansier, au Palais-Royal, en criant : « Vive le Roi ! Vive la paix ! A bas les jacobins ! A bas le boucher ! A bas les buveurs de sang ! » Le lendemain, à l’Ambigu, ils sifflent un acteur qui leur est désigné comme s’étant battu avec une valeur particulière à la défense d’Aubervilliers sous l’uniforme de tirailleur fédéré ; ils prétendent le forcer à se mettre à genoux et à demander pardon d’avoir tiré sur les alliés du Roi. Le 10 juillet, les royalistes s’en prennent à Mlle Mars, qui, pendant les Gent-Jours, paraissait dans tous ses rôles avec des violettes à la main ou au corsage. Quand elle entre en scène, on l’accueille avec des huées et des sifflets, et, sur l’ordre du public, elle doit crier : « Vive le Roi ! » Quelques minutes après, le vers de Mme Pernelle à Elmire :


Votre conduite en tout est tout à fait mauvaise


provoque des applaudissemens outrageans. Derechef on veut forcer l’actrice à crier : « Vive le Roi ! » Elle s’y refuse, proteste qu’elle l’a déjà fait. Le tumulte s’accroît ; on crie, on brandit les tabourets, on brise les banquettes. Mlle Mars cède, et revient à la réplique en dévorant ses larmes. Pour le surlendemain, on prépare contre elle une nouvelle cabale. Mais, à son entrée en scène, toute la salle se lève et l’applaudit cinq minutes de suite. Cette ovation ardente et résolue impose aux manifestans.

Après la guerre aux violettes, la chasse aux œillets rouges, cette fleur passant à tort ou à raison pour un nouvel emblème napoléonien. Les gardes nationaux de service ont l’ordre d’inviter les promeneurs qui portent des œillets à les jeter à l’instant sous peine d’arrestation. Du moins, ils exécutent poliment leur consigne ; mais les gardes du corps font cette police-là, dont ils ne sont nullement chargés, avec une brutalité de goujats, arrachant rudement les fleurs séditieuses, ou prétendues telles, de la boutonnière des hommes et du corsage des femmes. S’ils aperçoivent un pot d’œillets à quelque fenêtre, ils entrent dans la maison, montent l’escalier, forcent l’huis et jettent les fleurs par la fenêtre en menaçant les gens de leur faire prendre le même chemin. Chaque jour, dans les cafés, les spectacles, les promenades, ce sont des querelles, des duels, des rixes, des batailles. Quand la garde nationale intervient, les soldats du Roi la chargent à coups d’épée, comme au bon vieux temps où l’on rossait le guet. Dans une seule de ces échauffourées, six