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écrit et verbalement, le 8 juillet dans la nuit, le 9 juillet dans la matinée et le 9 encore dans la soirée. Il représenta au feld-maréchal l’injustice, les inconvéniens, les dangers même de cette destruction, et le pria d’y surseoir au moins jusqu’à la décision des souverains qui allaient arriver. Mais Blücher ne voulait rien entendre. « Je ne puis changer ma résolution, écrivît-il. La destruction du pont d’Iéna est une affaire nationale. Je m’attirerais les reproches de la nation et de l’armée. » Sur le conseil de Bignon qui avait rédigé la capitulation de Paris, Talleyrand invoqua auprès du ministre de Prusse, Goltz, l’article 11 de cette convention[1]. Goltz n’osait prendre une décision de lui-même. Il différa de répondre à Talleyrand jusqu’à l’arrivée du roi Frédéric-Guillaume. Pendant ce temps, les Prussiens chargeaient les fourneaux de mines.

Le 10 juillet, on fit jouer successivement trois mines, mais ces explosions eurent pour tout résultat d’écorner un chapiteau, de fendiller quelques pierres du cintre et de renverser un sapeur dans la Seine. Sans se décourager, les pionniers établirent une mine sous une autre pile du pont[2]. Mais dans la journée arriva le roi de Prusse avec le Tsar et l’empereur d’Autriche[3]. Goltz soumit à son souverain la lettre de Talleyrand. Bien impressionné par les raisons qui y étaient exposées, Frédéric-Guillaume fit donner l’ordre à Blücher de cesser les travaux ; à mieux dire, il l’y fit inviter, car avec ce fougueux soldat, le roi

  1. Talleyrand à Goltz. Paris, 9 juillet (Arch. Affaires étrangères, 691).
    Cette lettre avait été minutée par Bignon. En même temps, les commissaires français pour l’armistice adressaient aux commissaires alliés une note dénonçant le projet de faire sauter le pont d’Iéna comme une violation de l’article XI (Supplementary Dispatches of Wellington, XI, 22).
  2. Rapport de l’inspecteur Paques à Fouché, 10 juillet (Arch. nat., F. 7, 31533. Rapport à Carnot, 11 juillet (Papiers de Carnot). — Les travaux cessèrent seulement dans la nuit du 10 au 11 juillet ; ils ne furent point repris.
  3. De Haguenau où ils étaient arrivés le 30 juin, les trois souverains étaient venus à Paris à petites journées. Ils avaient dû marcher militairement, car il fallait qu’ils se gardassent contre les nombreux corps francs qui guerroyaient en Alsace et en Lorraine et dont l’un d’eux, fort de 1 500 hommes, faillit les enlever, le 4 juillet, aux environs de Sarrebourg. Jusqu’aux confins de la Lorraine, les souverains marchèrent avec tout le IVe corps russe. Ils furent ensuite escortés par de la cavalerie bavaroise, puis par de la cavalerie anglaise.
    À Paris, le Tsar fut logé à l’Elysée, le roi de Prusse à l’hôtel du prince Eugène, l’empereur d’Autriche à l’hôtel du prince de Wagram (Fagel au roi des Pays-Bas, Paris, 11 juillet, Revue d’histoire diplomatique, X, 35).