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avaient le ciel et la terre pour ancêtres et participaient au calme de leurs premiers auteurs. A tout le moins, nous pouvons nous mettre sous la conduite des poètes et leur demander de nous rendre le spectacle que nos yeux débiles ne suffisent pas à retrouver. Nous ouvrons l’Iphigénie de Goethe… »

Ainsi parle Taine et, sur ce large préambule, dans un magnifique éloge, il exalte la Vierge de Mycènes, Sacrifiée et Sacrifiante, comme la plus pure effigie de la Grèce ancienne et le chef-d’œuvre de l’art moderne : l’abrégé de ce qu’il y a de plus parfait au monde.

Cette belle élévation témoigne que les heures passées sur la montagne de Sainte-Odile sont, nécessairement, des heures de prière ; elle traduit une grande âme émue par la nature septentrionale ; mais s’accorde-t-elle, cette pensée poétique, à l’horizon des Vosges et du Rhin ?

La discipline que leur terre et leurs morts commandent à l’Alsacien, Taine l’eût reconnue, s’il s’était moins détaché de ses Ardennes natales. Il exprime des idées viables et fécondes, chaque fois qu’il est le fils du notaire de Vouziers et le petit garçon formé par des promenades en forêt. Son erreur, à Sainte-Odile, fut de ne pas se soumettre aux influences du lieu : il a méconnu les leçons de ces remparts et de ces tombes. On vérifie sur un tel cas que le meilleur génie devient artificiel et stérile s’il se dérobe à ses fatalités. Le plus vif sentiment de la nature et Virgile lui-même nous tenant par la main nous égareraient dans nos bois. Pour nous guider sur notre sol, nul ne peut suppléer nos pères.

On n’imagine point de lieu où disconvienne davantage qu’à Sainte-Odile la tradition normalienne, pseudo-hellénique, anti-catholique et germanophile. Si l’on avait traduit en marbre l’hymne de M. Taine, nous verrions aujourd’hui l’Iphigénie allemande se dresser sur la terrasse du monastère. Elle y ferait pendant à l’étendard impérial qui flotte à l’autre horizon sur le Hoh-Kœnigsburg. C’est démontrer par l’absurde que sur un champ de bataille, il n’y a pas de place pour la fantaisie. Les événemens de 1870 prouvent mieux qu’aucune autre dialectique l’erreur de M. Taine, ou, pour parler net, son insubordination.

Avec ce philosophe, je constate qu’à Sainte-Odile, on se détache de ce qu’il y a d’éphémère dans les choses humaines pour rechercher ce qui n’est pas viager ; j’accorde que, baignés