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sont dissoutes. — Le Roi entrera à Paris vers trois heures après-midi. » En même temps, les drapeaux tricolores qui flottaient au faîte des monumens, aux Tuileries, aux Invalides, à l’Ecole Militaire, à l’Hôtel de Ville, sur les mairies et les ministères, furent remplacés par des drapeaux blancs. À cette vue, à ces nouvelles, les royalistes crient : « Vive le Roi ! » mettent leurs cocardes, agitent leurs mouchoirs, chantent Vive Henri IV, et des drapeaux blancs apparaissent aux croisées, aux balcons. Sous l’action toute-puissante du fait accompli, les indifférens, nombre de gens même qui, la veille encore, juraient par les trois couleurs, se montrent heureux du retour de Louis XVIII. Plus des trois quarts des gardes nationaux changent de cocarde, les uns avec joie, les autres sans trop de répugnance. Il n’y a stupeur, irritation, murmures que chez le populaire. Encore se contient-il. C’est seulement chez lui, dans les faubourgs, loin des bandes royalistes et des patrouilles prussiennes qu’il crie : « Vive l’Empereur ! Vive la nation ! » Trahi, livré, terrassé, le peuple de la Révolution abandonne Paris aux triomphateurs du jour. Le terrain est déblayé, Louis XVIII peut faire son entrée.

Dans la crainte de quelque manifestation offensante, Fouché avait fait conseiller au Roi de se rendre aux Tuileries par la rue de Clichy, la rue du Mont-Blanc et la place Vendôme[1]. Louis XVIII maintint avec hauteur l’itinéraire qu’il avait fixé : le faubourg Saint-Denis et les grands boulevards. Il estimait contraire à sa dignité de rentrer à Paris pour ainsi dire furtivement. Le sentiment était louable, bien qu’en réalité il eût peut-être été plus digne d’un roi de France de se refuser une entrée solennelle dans Paris occupé par l’ennemi. Louis XVIII partit à deux heures. En quittant la maison de la Légion d’honneur où il avait logé pendant son séjour à Saint-Denis, il fit remettre à la surintendante, Mme Dubouzet, des dragées et des sucreries pour les élèves. Il s’était fort amusé de l’attitude frondeuse et des petites mines colères de ces filles de soldats. C’est à peine si, à son

  1. Les royalistes ultras ont plus tard accusé Fouché d’avoir donné ce conseil « afin d’envelopper le Roi dans un nuage de craintes vagues dont lui seul était capable de le préserver. » C’est inexact. La lettre de Fouché à Wellington du 8 juillet (Supplementary Dispatches, XI, 16) témoigne qu’il redoutait quelque manifestation hostile sur le passage du Roi. De danger d’attentat ou de sédition, il n’y avait point, le cortège devant être nombreux et la garde nationale sous les armes, et les Prussiens occupant la ville ; mais on pouvait prévoir des clameurs, des huées, des insultes.