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1re division alla prendre position sur la rive gauche de la Seine, entre le Pont-Neuf et le pont d’Austerlitz ; la 2e division, au Luxembourg ; la 4e division place de la Concorde, aux Tuileries et au Louvre. La 3e division occupa le Champ-de-Mars. L’artillerie et la cavalerie de réserve s’établirent aux Champs-Elysées. A chaque tête de pont et devant le jardin du Luxembourg, dans la cour des Tuileries, sur la place du Louvre, deux pièces de canon étaient en batterie, les servans tenant à la main écouvillons et boute-feu. C’était l’occupation militaire dans son effrayant appareil. Au défilé de l’ennemi et autour de ses bivouacs, pas un cri, pas un murmure ; des passans consternés, des regards mornes, un silence de tombeau. Boutiques fermées et logis clos, Paris était dans l’effroi, la stupeur et le deuil.

La présence des Prussiens dans la cour des Tuileries, à dix mètres de la salle des délibérations, donnait trop raison à Fouché. Tout était consommé. On n’avait plus qu’à s’en aller. Fouché rédigea un message où, pour alléger la responsabilité de la Commission, il attribuait le prochain retour du Roi à la volonté unanime et formelle des souverains alliés[1]. Ses collègues abattus se résignèrent à signer cette pièce dont le ton dégagé jurait impudemment avec l’humiliant aveu d’impéritie, d’aveuglement et d’impuissance qu’elle avait pour objet. Ce pitoyable testament, ou plutôt cette déclaration de faillite était ainsi conçue : « Jusqu’ici nous avions dû croire que les souverains alliés n’étaient point unanimes sur le choix du prince qui doit régner en France. Nos plénipotentiaires nous ont donné les mêmes assurances. Cependant les ministres et les généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu’ils ont eues avec le président de la Commission, que tous les souverains s’étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône[2] et

  1. Cette déclaration était inexacte en plusieurs points : 1° les porte-paroles des souverains, Wellington, Pozzo, Stuart, avaient exprimé l’avis que le meilleur parti pour la France serait de rappeler Louis XVIII, qu’autrement l’Europe serait dans l’obligation de prendre des garanties territoriales. Mais ils n’avaient point intimé l’ordre de proclamer le Roi ; 2° Fouché et Davout par leurs intrigues avaient beaucoup aidé au vœu des souverains. Ces intrigues étaient parfaitement connues de la Commission de gouvernement ; elle s’y était prêtée plusieurs fois ; elle en était complice.
  2. Fouché altérait gravement les paroles de Wellington sinon dans l’esprit, du moins dans la lettre. Celui-ci s’en montra fort irrité, car en lui attribuant publiquement un pareil langage, le duc d’Otrante le compromettait aux yeux du gouvernement anglais qui avait plusieurs fois déclaré que la guerre n’était point faite pour Louis XVIII. Les royalistes ne furent pas moins surpris ni moins mécontens. Il avait été promis par Fouché que la Commission de gouvernement transmettrait le pouvoir au Roi comme agissant de son plein gré. Au lieu de cela, elle déclarait dans son message agir à regret et sous la pression des puissances. « Rien, dit Pozzo, ne pouvait être plus funeste au service et à la personne du Roi. » Fouché s’excusa en disant qu’il fallait avant tout faire signer le message à ses collègues du gouvernement et qu’il n’y avait moyen de les y déterminer qu’en le rédigeant de cette façon-là.