Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prit la plume avec un gros soupir, la déposa, la reprit, dit : « — Il le faut donc ! » et signa[1].

Sur la fin de l’après-midi, pendant que le Roi quittait Arnouville pour aller s’établir à Saint-Denis, Talleyrand retourna à Neuilly. Il y trouva Wellington en conférence avec Fouché. Celui-ci continuait de tenir la dragée haute. A l’entendre, il n’avait rien pu faire depuis la veille pour aplanir les difficultés. Le retour à Paris de la mission envoyée aux souverains alliés compliquait même les affaires, car La Fayette et ses collègues déclaraient avoir reçu à Haguenau « les assurances les plus positives » des plénipotentiaires que « les souverains annonçaient l’intention la plus prononcée de n’imposer à la France aucune forme de gouvernement et de la laisser parfaitement libre à cet égard[2]. »

Wellington, qui venait de recevoir une dépêche de lord Steewart, savait de quelle façon insolente les plénipotentiaires français avaient été éconduits. Il dit à Fouché que les assertions

  1. Beugnot ajoute que le Roi dit : « — Ah ! mon malheureux frère, si vous me voyez, vous m’avez pardonné ! » C’est possible, mais il semble que le Roi jouait la comédie. La sensibilité de Louis XVIII et son souvenir attendri de Louis XVI inspirent des doutes.
  2. Étrange façon de rapporter les choses ! La vérité, c’est que dans leur mission, La Fayette et ses collègues n’avaient obtenu aucun engagement, aucune promesse, aucune déclaration de nature à les renseigner, sauf celle-ci, qu’il n’y aurait point de paix si Napoléon n’était pas livré aux alliés. Promenés de quartiers généraux en quartiers généraux, les plénipotentiaires avaient fini par joindre celui des souverains, à Haguenau, dans la matinée du 30 juin. Les ministres alliés refusèrent de les recevoir. Ils consentirent seulement à les faire entendre par une commission composée de Walmöden, de Capo d’Istria, de Knesebeck et de lord Steewart. Deux conférences furent tenues dans la journée. Aux ouvertures de La Fayette et de La Forest sur la conclusion d’un armistice qui donnât le temps de traiter des conditions de la paix et pendant lequel la Chambre pût choisir librement le nouveau souverain de la France, Steewart répondit insolemment : « — Quel droit une pareille assemblée peut-elle avoir de déposer et de choisir des rois ? » Les trois autres commissaires ne soufflaient pas mot ; ils semblaient laisser à Steewart, le seul qui n’eût point de pouvoirs réguliers, la tâche de répondre aux plénipotentiaires français. A un moment pourtant, Capo d’Istria ayant paru approuver ces paroles de Sébastiani : « Nous sommes prêts à demander de nouveaux pouvoirs, nous écouterons même vos conseils : le peuple français ne demande que paix et amitié avec les nations voisines…, » Steewart se leva brusquement. « Messieurs, s’écria-t-il, si vous traitez avec ces Français, ce sera sans l’Angleterre, car je déclare que je n’en ai pas le pouvoir. » Le lendemain, les plénipotentiaires furent congédiés. Un piquet de cavalerie les escorta jusqu’à Bâle, d’où ils rentrèrent à Paris. Avant leur départ, les ministres alliés leur avaient fait remettre cette déclaration : « D’après le traité d’alliance qui porte qu’aucune des parties contractantes ne pourra traiter de paix ou d’armistice que d’un commun consentement, les trois cours qui se trouvent réunies déclarent ne pouvoir entrer dans aucune négociation. Les cabinets se réuniront aussitôt qu’il sera possible. »