Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

uniquement aux fauteurs du retour de Napoléon. Le nombre en est réellement très petit, et les preuves sont difficiles à établir. Cette clause est plutôt un moyen moral de conserver le respect de l’autorité qu’un dessein d’inquiéter et de punir. » Sur la question du drapeau, Talleyrand prit Wellington à témoin de la nécessité où se trouvait le Roi de ne point céder. « — Si l’on m’avait consulté l’an dernier, dit Wellington, j’aurais conseillé de garder la cocarde tricolore. Mais ces couleurs sont devenues celles de la rébellion. Le Roi ne peut accepter un drapeau sous lequel a combattu son armée en révolte contre lui. De plus, beaucoup de provinces ont déjà pris la cocarde blanche. On s’exposerait à de grandes difficultés en contraignant les fidèles sujets du Roi à abandonner cet emblème. » On causa jusqu’à quatre heures du matin sans conclure sur rien. Fouché, en se retirant, s’invita à dîner pour le soir chez Wellington afin de reprendre la conférence. « — D’ici là, dit-il, je m’assurerai de ce que l’on peut faire dans les Chambres en faveur du Roi. » Fouché n’avait nulle intention d’intriguer dans les Chambres dont il se souciait autant que du Grand Turc, mais il représentait les circonstances comme difficiles et périlleuses afin de donner le plus haut prix à son concours et d’obliger le Roi à compter avec lui. Il pensait, que si, pour Henri IV, Paris valait bien une messe, pour Louis XVIII, Paris valait bien un ministre régicide.

Ce ministère tant convoité, Talleyrand avait, dès cette nuit-là, le désir et le pouvoir de l’offrir à Fouché. Mais l’attitude ferme, défiante, presque hautaine du duc d’Otrante, et aussi la présence de Molé, de Valence, de Manuel surtout, l’avaient déconcerté et retenu. Le lendemain matin, Talleyrand disait à Vitrolles avec un certain dépit : « — Eh bien ! votre duc d’Otrante ne nous a rien dit du tout ! » Et, dans l’après-midi, Fouché répondait au même Vitrolles, revenu d’Arnouville à Paris : « — Que voulez-vous dire à des gens qui ne vous disent rien ? »

On devait finir par s’entendre. Le plus difficile était fait : on avait le consentement du Roi. Parti de Cambrai le 30 juin, sur un avis de Wellington, qui jugeait utile qu’il fût aux portes de Paris, Louis XVIII était arrivé dans l’après-midi du 5 juillet au château d’Arnouville. C’est là que fut donné l’assaut pour Fouché. Le Roi répugnait à cette nomination. Aux premières ouvertures, pendant un arrêt du voyage, il avait déclaré qu’il ne la