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un conspirateur vulgaire. Il mit ses collègues du gouvernement dans la confidence, presque dans la complicité. En même temps que l’invitation verbale de Wellington, Macirone avait apporté un mémorandum où le général en chef de l’armée anglaise déclarait que « les Chambres élues sous le règne de Bonaparte et la Commission créée par ces Chambres n’avaient qu’à se déclarer dissoutes après avoir esprimé au Roi, dans une adresse respectueuse, leurs sentimens et leurs vœux. » Pouvait-on se soumettre à de pareilles prétentions sans saisir l’offre qui était faite de les aller discuter ? Et qui mieux que le duc d’Otrante, grâce à l’autorité dont il était temporairement revêtu, à son habileté consommée, à ses relations, qu’il n’avait point cachées, avec les Alliés et les royalistes, était en situation de faire entendre raison à ces gens-là ? D’ailleurs Fouché, pour endormir tout soupçon, décida qu’il n’irait pas seul à l’entrevue. Mais c’est lui qui désigna les personnages qui devaient l’accompagner, et il les choisit bien : Manuel, son âme damnée ; Molé, tout disposé à rester sous Louis XVIII directeur des ponts et chaussées, ou même à redevenir ministre ; le général de Valence, qui, pendant les négociations d’armistice, avait profité d’un court entretien avec Pozzo di Borgo pour se recommander au Roi. Ces trois compères ne pouvaient trahir Fouché.

L’entrevue eut lieu dans la soirée du 5 juillet, à Neuilly, où Wellington avait transféré son quartier général. (En vertu de la capitulation, ce faubourg, ainsi que Saint-Denis, Clichy et Montmartre, venait d’être occupé par l’armée anglo-prussienne.) Talleyrand, Pozzo, Goltz et sir Charles Stuart se trouvaient avec Wellington. Fouché, très froid, resta sur la réserve. Il ne voulait pas se livrer sans engagement réciproque. Il parla de la mauvaise impression produite par les menaces de la proclamation de Cambrai, de l’opposition universelle au drapeau blanc, et affecta de représenter la Chambre, qui, il le savait mieux que personne, n’était plus qu’un fantôme d’assemblée, comme une puissance dont il fallait tenir compte. Il concéda en principe le retour de Louis XVIII, mais sous cette condition qu’auparavant le Roi donnerait une amnistie générale et prendrait la cocarde tricolore. Talleyrand objecta que le Roi avait déjà pardonné par la proclamation du 28 juin à toutes les personnes qui avaient été entraînées à servir le gouvernement usurpateur. « — La réserve déférée aux Chambres, insinua-t-il, est limitée