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auparavant, lui a fait remettre en dépôt. Encore une fois, le trésor privé de l’Empereur sert à la solde de l’armée. Mais la journée s’avance. Davout qui espérait mettre l’armée en marche le soir même n’en a plus le temps. Toutes les troupes passent la nuit sur leurs emplacemens de combat, dominées, mais non encore résignées, toujours frémissantes, prêtes à suivre le chef qui voudra les entraîner.

Tandis que le danger diminue aux approches de Paris, il s’accroît à l’intérieur. Sur la fin de la journée, les tirailleurs fédérés se sont enfin décidés, pour la plupart, à évacuer les positions de Montmartre, de La Villette, du canal de l’Ourcq. Mais c’est en désordre, par petits groupes, sourds à la voix des officiers, qu’ils rentrent dans Paris. Ils s’y mêlent à des soldats de Vandamme et de Reille qui, furieux ou désespérés, ont abandonné leurs drapeaux ; ils parcourent les rues, les boulevards, les quais, tirant des coups de feu en l’air et vociférant : « Vive l’Empereur ! À bas les royalistes ! Mort aux traîtres ! » Une de ces colonnes, de plus de quatre cents hommes, porte un buste de Napoléon ceint d’une couronne de feuillage. À l’approche de ces bandes, les cafés ferment ; chacun rentre chez soi, et clôt portes et fenêtres. Les patrouilles de gardes nationales se replient sur les postes principaux. Mais, là, les miliciens très nombreux se rangent en bataille et barrent le chemin. On parlemente, on s’exalte, on tiraille. Sur vingt points de Paris, faubourg Saint-Martin, boulevard du Temple, chaussée d’Antin, rue Saint-Denis, sur le Pont-Neuf, au carrefour de l’Odéon, la fusillade s’engage. Il y a des blessés. Par bonheur, les mutins n’ont ni plan ni chef. Après quelques heures de promenades tumultueuses, où, d’ailleurs, il n’y a point une seule tentative de pillage, ils se dispersent d’eux-mêmes. L’émeute menaçante passe en clameurs, l’orage se dissipe sans éclater.

Le lendemain, 5 juillet, et le surlendemain, l’armée tout entière évacua Paris, farouche et furieuse, « en rugissant. » Les soldats disaient que ce n’était pas fini, qu’ils reviendraient avec Napoléon. En défilant, ils contraignaient, sabre levé, les passans à crier : « Vive l’Empereur ! » et menaçaient de la parole et du geste les postes de la garde nationale. Ils n’étaient pas si méchans qu’ils en avaient l’air. Rue de la Harpe, une marchande d’oubliés criait sans songer à mal : « Voilà le plaisir, mesdames, voilà le plaisir ! » Un vieux sergent s’arrêta, les traits