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société et la bourgeoisie redoutaient les colères des fédérés et des soldats à l’heure inévitable de la capitulation. C’était le réel motif d’une inquiétude qui, chez quelques-uns, devenait de la terreur. Encore ces craintes allaient-elles en diminuant, car, depuis que l’on se battait, Paris avait recouvré un certain calme. Plus de clameurs, plus d’attroupemens menaçans, plus de bandes criant : Vive l’Empereur ! Mort aux traîtres ! Les tirailleurs fédérés, principal élément de tumulte, et toutes les troupes étaient partis pour occuper aux avancées leurs emplacemens de combat ; et bien que la fermeture de toutes les boutiques et la suspension de tous les travaux eût désœuvré la population, il y avait relativement peu de monde dans les rues. Les cafés, les cabarets même étaient désertés. La curiosité de voir quelque épisode du combat, l’impatience de renseignemens entraînaient la foule aux barrières de la Villette, de Clichy, de l’Etoile, de Vaugirard, de Montrouge, sur les buttes Chaumont, sur les hauteurs de Chaillot. Comme pendant la bataille de Paris en 1814, on disait parmi le peuple que l’Empereur arrivait pour battre les Alliés, qu’il était là, qu’on l’avait vu.

Les troupes brûlaient de combattre. Une même ardeur animait les fédérés. Partout où on les avait employés, à Aubervilliers, au Drancy, aux retranchemens du canal de l’Ourcq, ils s’étaient conduits avec l’entrain et la fermeté de vieux soldats qu’ils étaient. Même dans la garde nationale, il y avait des gens qui souhaitaient la résistance et voulaient y contribuer. Nombre de miliciens sortirent volontairement de Paris pour aller faire le coup de feu aux avant-postes. Dans la nuit du 2 juillet, le capitaine, de Martimprey envoya ce billet à Davout : « Mes soixante gardes nationaux volontaires ont combattu avec les troupes au village d’Aubervilliers contre des forces quintuples. Nous avons eu des tués et des blessés. Aujourd’hui vous allez à Montrouge. C’est là qu’est le danger, nous demandons à vous y suivre. »

L’arrêt subit du combat, le matin du 3 juillet, commença d’alarmer tous ces braves. Ils comprenaient qu’on allait les empêcher de se battre. « On est en train de nous vendre, » disaient-ils. La journée entière, puis la nuit et la matinée du lendemain se passèrent dans une attente irritante. Les hommes bivouaquaient en ligne, derrière les faisceaux. Chaque heure qui s’écoulait augmentait l’inquiétude, le trouble, l’indiscipline. Vers midi,