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qu’elle ne nous soit pas personnelle, bien qu’elle soit même très générale, l’achat d’un témoignage n’en serait pas moins un fait d’apparence grave qui permettrait de tout remettre en cause. Nous en parlons d’ailleurs sans aucune passion, car la proclamation de l’innocence de Dreyfus, ou le maintien de sa culpabilité, est maintenant chose négligeable à nos yeux, comme à ceux de tous les Français, à l’exception de quelques centaines. Qu’on trouve donc un fait nouveau, peu nous importe : nous constatons seulement qu’on ne l’a pas trouvé puisqu’on le cherche encore, et qu’une fois de plus, il s’est évaporé lorsqu’on a cru le saisir. Dès la première audience du procès, l’accusation a paru ne pas tenir debout, et cette impression a toujours été en s’accentuant jusqu’au jour où la déposition du général de Galliffet s’est produite : alors ç’a été un effondrement ! L’incident qui a donné naissance ou prétexte à la poursuite n’a plus, aujourd’hui surtout, assez d’importance pour qu’il vaille la peine d’en relater les détails. Il s’agissait d’une signature que le général Delanne, faisant l’intérim d’un service qui n’était pas le sien, avait donnée et qu’il ne se rappelait plus. Quand on l’a mise sous ses yeux, il ne se l’est pas rappelée davantage, et s’est borné à en reconnaître la matérialité : comment s’étonner qu’il ait oublié également à quelle affaire elle se rapportait ? On dit qu’il a varié dans ses dépositions, ce qui est très naturel de la part d’un homme chez qui on réveille des souvenirs confus et qui croit par momens en ressaisir quelques bribes ; mais, en somme, le fond commun de toutes ses dépositions a été qu’il ne se souvenait de rien. Et c’est là-dessus qu’on a fait reposer une accusation qui entachait, sinon la probité privée, au moins l’honneur public de quatre officiers tous bien notés, quelques-uns très distingués, et dont le caractère n’avait jamais été l’objet d’aucun soupçon. Ces malheureux ont souffert beaucoup, et longtemps ! Enfin, devant l’inanité des preuves qu’il avait entre les mains, le ministère public a fait la déclaration la plus imprévue : « Je suis, a-t-il dit, autorisé par l’autorité supérieure à abandonner l’accusation. » Ce n’est pas l’abandon de l’accusation qui était imprévu, car l’acquittement était certain ; mais quelle est « l’autorité supérieure » qui est intervenue ici ? Nous n’en connaissons pas de supérieure à la conscience et à la liberté du ministère public lui-même : aucune autre n’a le droit d’agir sur lui. Qu’y a-t-il donc derrière cette parole peut-être inconsidérée et assurément imprudente du commissaire du gouvernement ? Entre quelles mains ont été tous les fils de cette affaire ? A qui revient enfin la responsabilité d’une initiative prise aussi légèrement, interrompue aussi