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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre


Le ministère était bien bas, bien bas, à la fin de la séance du vendredi 4 novembre. Huit jours auparavant, à la suite de l’interpellation de M. de Villeneuve, il n’avait eu dans le vote décisif de la journée que quatre voix de majorité : ces quatre voix venaient de se réduire à deux. Mais ce n’est pas seulement à l’exiguïté décroissante de ces chiffres qu’il faut mesurer sa déchéance morale : il fléchissait évidemment, il était près de succomber sous le mépris. C’est alors que M. Syveton, un des membres les plus en vue du groupe nationaliste, s’est livré sur M. le ministre de la Guerre à des voies de fait, gifles suivant les uns, coups de poing suivant les autres : en tout cas, c’est le visage du ministre qui a été atteint. M. Syveton n’avait pas pris part au débat ; il était jusque-là resté à son banc avec une apparence tranquille ; aucun symptôme n’avait fait pressentir que l’esprit l’agitait. Tout d’un coup, il s’est cru désigné par on ne sait quelle puissance supérieure pour venger l’armée. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Rien dans sa personne, ni dans sa situation, ni dans ses antécédens, ne semblait l’avoir marqué pour cette mission de justicier : il se l’est donnée à lui-même. Nous serions très surpris si son geste, d’ailleurs peu héroïque, avait plus tard pour l’armée des conséquences heureuses : ce qui est sûr, c’est qu’il a, sur le moment même, fait remonter de deux voix à quatre-vingts environ la majorité ministérielle. Était-ce là un mouvement de sympathie subite pour M. le ministre de la Guerre ? Non : le général André n’apparaissait à personne comme un « noble blessé. » Mais de pareilles mœurs, introduites dans le parlement, inquiétaient et révoltaient tout le monde. La discussion a souvent dégénéré en injures et en violences au