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elle habite encore la Bloss et l’Elsberg, que chargent de mystérieux monumens.

Les deux plateaux de la Bloss et de l’Elsberg forment avec le promontoire de la Hohenburg, qu’ils flanquent au Sud et du Nord, une superficie de cent hectares. Un mur celtique les enserre d’un ruban de dix kilomètres. C’est le célèbre « mur païen. » En partie éboulé, recouvert de mousses et travaillé par les racines des sapins, il est fait d’énormes blocs grossièrement équarris. Dans ses meilleures parties, il n’a plus que trois mètres de hauteur ; ses pierres, reconnaissables à leurs entailles en queue d’aronde, gisent au milieu des arbres. Selon les accidens du terrain, il se replie, ou projette des pointes, et même disparaît, toutes les fois que le rocher à pic rend impossible une escalade.

Par le plateau de la Bloss, on arrive de plain-pied sur les rochers du Maennelstein et du Schafstein et, brusquement, on trouve le vide, tout un immense précipice. C’est une vue sur la douce, riche et diverse plaine d’Alsace, et sur le groupe puissant des montagnes solitaires et boisées. Une série de contreforts se détachent de la chaîne des Vosges et s’inclinent vers la plaine pour y mourir. J’aime ces formes éternelles plus que les gais villages, et ces bois monotones plus que les champs parcellaires… O douceur altière de ces alternances de montagnes ! Les reines de la nature reposent heureuses dans une atmosphère lilas. Et contre ma figure, il y a de délicieux mouvemens d’air… Sur la pierre plate du Schafstein, sans aucun garde-fou, je suis en face des libres espaces. Tout près de ma main, frôles dans la brise, voici des rameaux verts et jaunes, pointes des arbres qui surgissent de l’abîme, ayant poussé, Dieu sait comment, dans les interstices de la dure roche. De ces ramures et par-dessus la profonde vallée de Barr, le regard glisse sur un premier plan de montagnes, fort basses, qui semblent un moutonnement de cimes verdâtres, un crêpelage comme sur le dos des brebis. Une seconde, une troisième chaîne forment des masses de bleu noir, puis se dégradent en bleu gris, jusqu’à ce que là-bas, là-bas, sur la plus haute crête, apparaisse la très mince silhouette du Hoh-Kœnigsburg, dans une buée jaunâtre, dans un glacis de couleur paille.

Jusqu’à quatre heures, les montagnes, épaisses de feuillages à l’infini, ondulent, vernies d’une, brume dorée qui leur donne